Les origines d’une commune du bocage bressuirais : Beaulieu-sous-Bressuire
De nos jours un constat s’impose : il est extrêmement difficile d’établir comment un bourg rural a vu le jour , surtout en l’absence de fouilles archéologiques. Mais rien n’interdit de poser des hypothèses… Beaulieu-sous-Bressuire est une petite commune des Deux-Sèvres, aujourd’hui associée à la ville de Bressuire.
En se penchant sur les archives force est de constater qu’aucune source n’atteste la présence d’une communauté humaine en ce lieu avant le XIème siècle, si ce n’est la présence de quelques silex taillés au lieu-dit “Pierre Arrivée”. Mais entre la préhistoire et le Moyen-Age : Rien. Tentons quand même de comprendre les origines de Beaulieu. Le premier document connu à ce jour, évoquant Beaulieu date de mars 1102 : un cartulaire de l’abbaye de Bourgueil en Touraine dans lequel l’évêque de Poitiers (Pierre II, décédé en 1115, un des fondateurs de l’abbaye de Fontevrault) confirme que son prédécesseur donna le prieuré-cure de Beaulieu à l’abbaye de Bourgueil. Le prédécesseur en question est Isembert II, évêque de 1047 à 1087. C’est donc durant cette période que le prieuré-cure de Beaulieu fut confié à l’abbaye. Un autre texte daté de 1150 (cité par Belissaire Ledain dans “Histoire de la ville de Bressuire” – seconde édition – 1880) précise : “Propre vero Bellilocensi ecclesia territorium quod adjacet supradicte ecclesie cum quadam parte veteris castri ad domos videlicet et claustra construenda” ce qui pourrait se traduire : “Près de Beaulieu, l’église possède un terrain qui est situé au-dessus de l’église en question avec une partie du vieux château, dans l’intention de construire un cloître jusqu’au vieux château existant” Quelques éléments sont à relever : – Le terrain cédé aux moines est situé entre l’église et le château. – Le château est déjà qualifié de “vieux” (veteris) Eglise et château, deux éléments qui semblent avoir été moteur de la naissance de Beaulieu. Mais lequel précéda l’autre ? Le fait d’évoquer un “Veteris castri” semble indiquer que le château fut bien le premier. de plus si la communauté religieuse a besoin de construire un cloître vers 1150, c’est que son implantation ne semble pas totalement terminée, alors même que le château est déjà ancien. Reste à savoir ce qui poussa les habitants à se regrouper en ce lieu. Protection militaire ou religieuse ? Si nous tentons de comparer avec ce qui c’est passé ailleurs en France lorsqu’il existait déjà une implantation seigneuriale, alors il est possible d’envisager, en gardant la prudence qui s’impose, que les seigneurs firent venir une communauté religieuse et lui permirent de se développer (ce que semble confirmer le texte de 1150) afin d’organiser socialement et économiquement la communauté villageoise qui devait se regrouper autour du prieuré. Mais le fait de mentionner que le château était vieux, laisse à penser que celui-ci était peut-être déjà en ruine voir à l’abandon au moins partiellement. Dès lors c’est bien le prieuré qui aurait été le second catalyseur pour les villageois. L’étude sur le terrain des bâtiments à l’architecture ancienne encore visibles de nos jours, penche en faveur de cette hypothèse. La très grande majorité d’entre eux sont proche de l’église et semblent remonter aux alentours du XVeme siècle.
Ainsi une chronologie semble apparaître :
- Avant le XIème siècle, une famille seigneuriale occupe un château sur le futur territoire de la commune.
- Au XIème siècle, une communauté villageoise s’organise autour d’un prieuré-cure à quelques distance du château.
- Entre 1047 et 1087, ce prieuré est cédé à l’abbaye de Bourgueil.
- En 1150 un terrain est donné entre l’église et le château afin d’un construire un cloître et des habitations.
- Au XVème siècle les anciennes maisons (en bois, torchis…) sont remplacées par des habitations en pierres.
Une autre question s’impose: Quelle était cette famille seigneuriale qui vivait dans le vieux château et qui est à l’origine de Beaulieu ? En 1150 la personne qui cède le terrain était un certain Geoffroy d’Argenton. Il s’agit certainement de Geoffroy, seigneur d’Argenton et de Chemillé, époux de Marguerite de Chemillé. Fils d’un autre Geoffroy, lui-même fils de Aimery d’Argenton qui aurait participé à la première croisade aux côté de Jean de Beaumont, seigneur de Bressuire, et de Herbert vicomte de Thouars. La famille d’Argenton est une vieille famille poitevine qui remonte à Geoffroy dit de Blois (père de Aimery), chevalier et seigneur d’Argenton, frère cadet de Josselin, vicomte de Blois (source : Beauchet-Filleau – Dictionnaire des famille du Poitou – Seconde édition). Les liens entre cette famille et l’abbaye de Bourgueil sont connus. Cette famille semble bien être celle que nous recherchons, et qui est à l’origine de Beaulieu. Mais avons nous d’autres pistes ?
Le cartulaire de Bourgueil évoque un autre seigneur qui vers 1150/1160 donna le domaine des “Noeres” à la dite abbaye : un certain Guérin. Le domaine en question existe toujours et est situé entre les lieudits La Colle et La Chaonnière, sur l’ancienne route de Mauléon. Ce domaine apparaît à travers les siècles sous divers noms et restera longtemps propriété de l’église de Beaulieu : Noes, Nouhes, Nouhelleries… Mais ce Guérin reste un inconnu. Mais était-ce vraiment un seigneur ? Le domaine des Noeres n’étant que des terres sans constructions…
Une autre grande famille est signalée sur Beaulieu : L’Archevêque, de Parthenay. Mais cette puissante famille n’es pas cité avant 1265, et ne semble posséder que des biens mineurs. Citons encore les Foucher, seigneur de La Dubrie mais qui n’apparaissent pas avant le XIVème siècle dans les textes ; et bien sûr les Du Vergier, ancêtre des “du Vergier de La Rochejaquelein” (dont le général Henri de La Rochejaquelein). Mais si le petit manoir du Vergier est bien le berceau de cette famille, ils n’y apparaissent pas avant le XIIIème siècle. Les Argentons sont bien les favoris pour être les fondateurs de Beaulieu. A moins que le biens ne vienne de leurs épouses ; mais l’état actuel des connaissances concernant ces dernières est trop vague pour en savoir plus.
Par contre une piste sérieuse existe en la personne d’un illustre personnage qui vivait au XIIème siècle : Raoul Ardent. Raoul Ardent (Radulphi Ardentis) était de naissance noble, mais le “Ardent” n’était que son qualificatif et non son patronyme. Il fit ses études à Poitiers et devint archidiacre et disciple de Gilbert de La Porée, évêque de Poitiers de 1122 à 1154. Il composa entre 1125 et 1137 un vaste recueil de plus de deux cent homélies sur les épîtres et les évangiles. Mais son œuvre la plus importante fut le “Speculum Universale”, encyclopédie en quatorze volumes. Il termina sa carrière comme un des chapelains de Richard Cœur-de-Lion. La question reste : Raoul était-il un d’Argenton ?
En 1951, un thèse de l’école des Chartres (de Michèle Le Paul) consacrée au “Speculum” cite une phrase tirée des archives de la Chartreuse du Viget et évoquant la mort de Raoul Ardent (à Poitiers vers 1199) : “Radulfi de bello loco pictaviensis dicesis” soit “Raoul de Beaulieu diocèse de Poitiers”… Raoul de Beaulieu… Aucune famille de ce nom n’est connue, à moins que ce ne soit une référence évidente à ses origines.
A Beaulieu existe une maison connue sous le nom de “Maison de Raoul Ardent”. Il est impossible de démontrer que cette habitation s’élève à l’emplacement de la demeure natale de Raoul. Mais si nous imaginons que cette tradition soit un lointain souvenir d’une réalité… Cela deviens particulièrement intéressant.
Lorsque l’on regarde une vue aérienne de Beaulieu force est de constater que ce bourg est construit en s’appuyant sur deux hameaux distants de quelques centaines de mètres. Le premier, le plus vaste, fait face à l’église. une dizaine de maisons s’y distinguent par leurs éléments d’architecture des XVème et XVIème siècle encore visibles malgré les destructions durant les guerres de Vendée (le bourg fut incendié à deux reprises). Le second hameau, et plus modeste quant à l’ancienneté de son architecture mais des éléments des XVème et XVIème siècles y sont également visibles. Et deux maisons s’y distinguent en particulier. La première est la plus grande du bourg et est encore connue sous le nom de “Grand logis” et est juchée sur un léger promontoire lui permettant de dominer son environnement. En partie détruite en 1793/1794 (des traces d’incendie y sont encore visibles) elle fut reconstruite au XIXème siècle mais on y distingue encore des portes chanfreinées, des fenêtres du XVème siècle, et surtout une immense cave voutée (où se serait réfugiée une partie de la population lors de la destruction du bourg pendant la guerre civile). Ces éléments architecturaux ne sont pas de la récupération d’anciennes habitations, mais bien les éléments d’origines de la battisse, témoins d’un prestigieux passé. La seconde maison est immédiatement voisine du Grand Logis. C’est la maison du bourg la plus remarquable en terme d’architecture malgré sa destruction durant la Révolution et sa reconstruction au XIXème siècle : Porte d’entrée sur un double entablement supporté par deux petites consoles et surmonté d’une coquille Saint-Jacques ; les encadrements des portes et fenêtres datent probablement du XVIème siècle ; et coté cour un mur et une fenêtre semblent bien plus ancien (XIVème/XVème). Il s’agit de la maison dite de Raoul Ardent.
L’ensemble Grand Logis/Maison de Raoul Ardent est situé au cœur du second hameau qui semble structurer Beaulieu. Une hypothèse s’impose alors : D’un côté nous avons le premier bourg autour de l’église (reconstruite au XIXème siècle, le cœur date du XIIème siècle). De l’autre un petit hameau semble accoler une construction importante où serait selon la tradition, Raoul Ardent, au sein d’une famille noble. Et si cette construction était une survivance du “Veteris Castri” ? En résumé : vers 1100 naquit à Beaulieu Raoul Ardent dans une famille noble, peut-être apparenté aux d’Argenton, et certainement dans le vieux château qui s’élevait jadis à l’emplacement du vieux logis et de la maison de Raoul Ardent, et qui serait le château évoqué dans le document de 1150. A moins qu’un autre lieu de Beaulieu soit candidat à cette naissance ? Possible…
Immédiatement voisin de l’église existe une maison nommé “Prévoté” qui fut jusqu’au XIXème siècle une maison noble. Cette demeure est évoquée dans le Chartrier de Saint-Loup (AD79) au XVIIeme siècle mais date certainement du XVeme. Elle comportait un four banal et fut la résidence de Philippe de Longueraire avant de revenir à la famille de La Haye-Montbault. Philippe de Longueraire, seigneur de Saint-Aubin-du-Plain était époux d’une dame du Vergier (de Beaulieu) et c’est probablement elle qui lui apporta La Prévoté. Cette maison noble serait elle une survivance du veteris Castri ? Peu probable. Pourquoi ?
- La famille du Vergier n’apparaît à Beaulieu que vers le XIIIème siècle. Impossible donc de les lier au vieux château.
- La description faites en 1743 de La Prévôté dans un aveu de Gabriel de La Haye-Montbault (Chartrier de Saint-Loup) nous présente une maison finalement modeste : deux chambres basses et greniers, et toit à bestiaux. On est loin du Grand Logis et des son immense cave voûtée. –
- Enfin sa proximité immédiate avec l’église ne permets pas d’envisager entre les deux un terrain permettant de construire cloître et habitations… –
- La Prévôté est construite en contrebas, dans un creux de terrain peu propice à la construction d’un château. Contrairement au Grand Logis qui domine le bourg. –
- Le nom même de Prévôté, laisse plutôt envisage une demeure d’un officier chargé des détails de l’administration seigneuriale, un Prévôt. Une personne importante donc, mais pas un seigneur. – Enfin, La Prévôté fut construite en bordure de l’ancienne zone sacrée qui encerclait jadis la vieille église. une zone dévouée à l’église et en limite de laquelle vinrent s’accoler les demeures primitives de Beaulieu qui cherchait par cette proximité, la protection de Dieu. Les maisons du XVème siècle encore visibles à Beaulieu semblent respecter cette délimitation ce qui semblerait indiquer un date de construction de La Prévôté, plus récente que l’église. Ce qui semble exclure, de fait, le château.
En conclusion : Une famille noble, au sein de laquelle serait né Raoul Ardent, présida à la fondation de Beaulieu au XIème siècle. deux hameaux furent les axes fondateurs du bourg ; un autour de l’église l’autre autour de bâtiments remarquable où serait né selon la tradition Raoul Ardent. Si ce souvenir perdure jusqu’à nos jours, ce qui est exceptionnel, ne doit-on pas y voir l’échos du passé qui garde en mémoire le temps où le veteris Castri dominait les premières habitations de Beaulieu regroupées autour de l’église, comme aujourd’hui encore Le Grand Logis domine le bourg ? Pour en savoir plus sur Beaulieu-sous-Bressuire :
- Christelle et Frédéric Augris, histoire d’une commune du bocage : Beaulieu-sous-Bressuire, Familiaris 1999 (épuisé)