Leonor de Alorna, marquise d’Alorna, comtesse d’Oeynhausen
Mes recherches sur le général Henri Forestier m’ont amené à me pencher sur une autre figure historique : Leonora de Almeida Portugal Lencastre et Lorena, Marquise de Alorna et Comtesse d’Oeynhausen ; dite Alcide.
Un drame familiale à la base de ses futurs engagements politiques ?
Née à Lisbonne le 31 octobre 1750, elle est la fille de Don Joao de Almeida Portugal, second marquis de Alorna, et de Leonora de Lorena, fille du marquis de Tavora. Sa famille compte parmi les plus vieilles et les plus hautes du Portugal. Elle descend entre autres de Don Petro de Almeida, marquis de Castel-Novo, Comte de Assumar et vice-roi des Indes. Et pourtant malgré une telle carte de visite, la vie de la jeune Léonora sombre très vite dans le drame. En 1758, alors qu’elle n’a que huit ans, elle est en effet envoyée en prison pour raison d’État, ou plus exactement, par la volonté d’un homme d’État le Marquis de Pombal. Les avis divergent sur le Marquis de Pombal ; considéré parfois à l’origine du renouveau du Portugal mais, aussi comme un tyran. Le dit Marquis se nomme Sebastiâo José de Carvalho e Melo ; il est le maître du Portugal durant vingt-deux ans, dictant sa volonté au roi José Ier dont il est le secrétaire d’État, l’équivalent du Premier ministre. Le roi lui donne les pleins pouvoirs, si bien que, issu d’une famille de petite noblesse, il se heurte vite au mépris des grandes familles portugaises dont celle de la jeune Leonora. En 1755, le tremblement de terre qui détruit Lisbonne va lui permettre de s’imposer en organisant la reconstruction de la ville. Sous son impulsion, cette renaissance de Lisbonne ne dure que trois ans. Il en profite alors pour réformer le pays en profondeur et s’attaque à ceux qu’il considère comme les représentante d’un passé révolu : la haute noblesse ! Il accuse ainsi les familles Tavera et Almeida de vouloir attenter à la vie du Roi. En vérité on s’interroge encore sur le rôle joué par ces familles dans ce complot pour renverser la couronne du Portugal. En septembre 1758, le roi est en effet attaqué et blessé, de nuit, à Bélem où il vit depuis le tremblement de terre. La rumeur accuse la famille Tavera ; des aveux auraient même été faits sous torture (c’est encore l’époque de l’Inquisition) par un des fils du marquis de Tavera. Mais, ce dernier n’avoue jamais, pas plus que son cadet. Et malgré l’absence d’aveux clairs et de preuves formelles, le marquis de Tavera et ses deux fils sont décapités en public, et deux autres membres de la famille ont les os brisés… La mère de Leonora ainsi que ses sœurs sont enfermées avec elle au couvent Sao Felix de Chelas. Le sort réservé à la future Comtesse d’Oeynhausen et sa famille glace d’effroi l’antique noblesse Portugaise. Pombal peut alors développer son pays sans entraves, y créant des industries, des universités, expulsant les Jésuites, créant la compagnie du vin de Porto, etc.
Leonora et les siens vont rester ainsi enfermés jusqu’à la mort du Roi le 24 février 1777, à la suite de quoi le marquis de Pombal est éloigné du pouvoir. Dix-neuf ans de prisons donc pour Leonora qui ne retrouve la liberté qu’à l’âge de vingt-sept ans. Pombal, quant à lui, décède le 8 mai 1782, haï et aigri dit-on.
Au sein du couvent, la future comtesse va non seulement se forger un caractère, mais aussi recevoir une éducation très poussée. Elle étudie la poésie, les langues étrangères, la littérature et la théologie. Et c’est durant ces années qu’elle commence à écrire et signe ses premiers poèmes. Admirative des poètes Silvio et Filinto Elysio, elle est également particulièrement touchée par les philosophes français des Lumières dont les œuvres circulent au sein du monastère. La lecture et l’écriture devinrent sa seule porte de sortie vers le monde. Elle adhère pleinement aux œuvres de Diderot, Voltaire ou Rousseau sans jamais pour autant oublier la tradition et les règles de la haute société portugaise. Toute sa vie elle semble ainsi avoir tenté d’allier à la fois tradition (celle que le marquis de Pombal tenta de briser) et le renouveau vers lequel ses lectures la poussaient. Ce n’est donc qu’en 1777 qu’elle est libérée du couvent. Elle s’installe alors au Palais d’Almeirim où son père tente de réhabiliter sa famille.
Epouse de diplomate
Elle rencontre rapidement un représentant du gouvernement germanique, le Comte Karl August Von Oeynhausen-Gravenburg, qu’elle épouse le 15 février 1779 (il était en poste à Porto). Elle quitte alors le Portugal pour le suivre et commencer une longue vie de voyages : L’Autriche (Vienne) de 1780 à 1785 ; mais aussi l’Espagne, l’Allemagne… et la France (Avignon et Marseille) de 1785 à 1792. L’ancienne prisonnière devient ainsi une femme sans frontières qui savoure sa nouvelle liberté. Elle est reconnue comme une femme de grande intelligence et d’une immense culture. Passionnée par les Arts, la peinture en particulier, et les sciences naturelles, elle ne délaisse pas pour autant la littérature et la poésie créant des salons littéraires partout où elle réside. Elle serait ainsi devenue une proche de Madame de Staël. Notons que malgré ses passions et l’emploi du temps de son époux qui l’éloigne régulièrement d’elle, elle donne naissance à huit enfants :
– Leonor Benedita Maria (1779 – 1850) qui épouse le Marquis de Fronteira
– Maria Regina (1781 – 1782)
– Frederica (1782 – 1847)
– Juliana (1784-1864) qui épouse le Comte d’Ega, puis le Comte Strogonoff.
– Carlos Frédérico (1786- 1789)
– Henriqueta (1787 – 1860)
– Luisa (1789-1812)
– Joao Ulrico Carlos (1791 – 1822)
Engagement en politique
Son époux décède en 1793, la Comtesse entame alors une vie plus calme. Retirée à Almeirim où elle organise des salons littéraires rapidement réputés dans tout le Portugal et surtout “La Société de la Rose”. Cette société aurait été soit un salon littéraire très libre de pensées soit les prémisses de la première loge franc-maçonnique du Portugal. Officiellement cette “Société de la Rose” n’a d’autres buts que de réfléchir sur la culture Portugaise, mais il semble qu’effectivement son ambition soit plus grande…
Et en cette toute fin du XVIIIe siècle, Leonora s’intéresse de plus en plus à la politique de son pays et aux évènements en France ; consciente que ces derniers peuvent, à plus où moins longue échéance, impacter le Portugal. Elle entre ainsi en contact avec l’ancien général Vendéen, Henri Forestier, alors à la recherche de soutiens à travers l’Europe pour relancer la guerre civile en France. Un engagement politique qui inquiète les autorités ; à tel point que l’Intendant Pina Manique accuse Leonora d’avoir remis en cause les règles de l’Etat. La Comtesse est alors contrainte de quitter le Portugal. et s’installe à Madrid. En 1803, elle y retrouve Henri Forestier qui, après avoir échoué à mener à bien une nouvelle révolte en 1799, prépare un vaste complot dans le but de renverser Napoléon Bonaparte (complot qui entra dans l’Histoire sous le nom de : Affaire des Plombs). La comtesse s’implique totalement dans ce complot, jouant les intermédiaires avec les banques et probablement les hauts dignitaires portugais et espagnols. Elle y investit ses dernières économies, tente d’en obtenir auprès de la famille de son défunt époux, implique sa fille la Comtesse d’Ega dont le mari est ambassadeur du Portugal en Espagne, et devient la porte-parole de Forestier auprès de John H. Frere représentant de Grande-Bretagne qui doit assurer le transfert de fonds britannique vers les caisses noires du complot.
L’affaire est découverte par la police Française en 1804 et de nombreux conjurés sont arrêtés. Inquiétée, la Comtesse doit fuir Madrid, échappant à des tentatives d’assassinat de la part des espions français, et se réfugie à Londres où elle retrouve Henri Forestier. En 1805, se faisant parfois appeler Madame de Saint-Florentin, surveillée par la police de Fouché, elle s’installe à l’hôtel Sablonnière, à Leicester Square au cœur de Londres. Elle y fréquente le gouvernement anglais et les émigrés français et en particulier le marquis de Fulvy, qu’elle connaissait déjà à Madrid. C’est un amoureux des belles-lettres avec lequel elle a de réguliers échanges et qui s’implique également auprès d’Henri Forestier. Elle fréquente également Elisabeth Vigée Le Brun, dont elle admire les peinture (elle en témoigne dans une lettre de 1805 conservée aux Archives du district de Braga).
Accusations, soupçons et trahisons
C’est alors que commence la période la plus mystérieuse de sa vie. Malgré l’échec du complot, Forestier espère convaincre le gouvernement anglais et les émigrés de financer une nouvelle tentative. Leonora le soutient pleinement et se rapproche de lui au point de ne pas hésiter à s’afficher dans les rues de Londres aux bras de celui qui est désormais connu comme étant le Marquis de Forestier. Des rumeurs de relations intimes courent alors les rues, malgré la différence d’âge (Forestier a vingt-cinq ans de moins). Admirative du général, elle entame la rédaction d’un livre qu’elle publie à Londres l’année suivante et dans lequel elle narre les exploits de son amant en 1793 durant la première guerre de Vendée – ouvrage qui depuis est considéré comme étant les mémoires de Forestier. Elle espère avec ce livre, rédigé en français, attirer les bonnes faveurs des Princes (il est d’ailleurs dédicacé au futur Louis XVIII) afin qu’ils soutiennent plus vigoureusement les actions de Forestier (et en profite au passage pour attaquer quelques émigrés et anciens vendéens qui s’opposent au complot…). Ouvrage dont elle tire une seconde édition, corrigée probablement à la demande de Forestier, quelques mois seulement après la première.
Malheureusement, Henri Forestier meurt à Londres le 14 septembre 1806. La Comtesse est soupçonnée, quelques années après les faits, de l’avoir assassiné. Un témoignage particulièrement accusateur est portée contre elle en 1809 par un certain Jean-Baptiste Leclerc qui prétend avoir partagé son logement avec le général Vendéen et qui affirme qu’en 1806 Forestier ne réside plus avec Leonora depuis plus d’un an. Il affirme également que le général a été victime d’empoisonnement de la main même de la comtesse qu’il qualifie de “coquine et de scélérate”. Forestier lui aurait même ordonné de ne pas le laisser seul avec elle… Longtemps, cette thèse de l’empoisonnement est resté la cause reconnue du décès de Forestier. Je l’ai moi-même affirmé sur la base du témoignage de Leclerc dans ma biographie consacrée au général Forestier. Mais d’autres documents me poussent aujourd’hui à remettre en question cette version officielle. D’abord les courriers que Leonora échange avec le Marquis de Fulvy ; en particulier une lettre datée du 5 mai 1806 dans laquelle Fulvy demande à la comtesse de “dire mille choses” de sa part à Henri Forestier (qu’il nomme Monsieur Obart, un pseudonyme). Preuve donc que pour Fulvy, en mai 1806 Forestier et la Comtesse sont toujours en relation et en bons termes. Une autre lettre datée du 12 mai 1806, confirme la précédente missive, en évoquant un dîner à venir entre Fulvy, la Comtesse et Forestier (on y apprend même qu’elle le soigne). On est bien loin des accusations de Leclerc… Autre document disculpant la Comtesse : Le 3 juillet 1807, elle fait une déposition avec Fulvy devant une commission spéciale à Londres chargée d’étudier les créances de Forestier. Le document nous apprend que Forestier est décédé à Leceister Square. Doit-on en conclure qu’il est mort à l’hôtel Sablonnière où logeait la comtesse ? Le texte explique également que le général a rédigé un testament dans lequel il nomme héritier le fils de la comtesse… Plutôt curieux au regard du témoignage de Leclerc. Enfin, ce même document nous révèle que c’est la comtesse qui a organisé et réglé les frais d’ obsèques du général. Par contre ce qui est certain, c’est qu’entre 1807 et 1810, les Vendéens en la personne du Chevalier de Saint-Hubert, ancien lieutenant de Forestier, tentent de récupérer l’argent que les Anglais ont donné au général pour organiser son complot ; argent dont la comtesse est encore dépositaire au nom de son fils, héritier et toujours mineur. Le 28 février 1809, Saint-Hubert écrit une longue lettre à Lord Windham haut personnage de l’état britannique, pour réclamer cet argent en tant que successeur de Forestier. Dans cette missive il évoque la comtesse en des termes peu élogieux :
“femme exécrable qu’il (Forestier) avait eu le malheur de connaitre au Portugal, qui l’avait séduit et qui, devenue sa concubine, avait pendant sa longue maladie dilapidé la plus grande partie des sommes qu’il avait entre les mains et qui voulait encore s’emparer du reste sous prétexte d’un mariage qui n’a jamais existé. Cette méprisable créature après la mort de sa victime, car c’est elle qui l’a conduite au tombeau autant pour contenter sa lubricité que pour s’emparer de ses dépouilles (…)”
Notons qu’à l’époque des faits, le Chevalier de Saint-Hubert est en prison à Nantes, et qu’il ne fait ici qu’exprimer une conviction toute personnelle basée sur des faits dont il ne peux juger la véracité. Rappelons que le (faux ?) témoignage de Leclerc date de la même période, et il semble probable que ses accusations et la demande de Saint-Hubert entrent dans une même stratégie visant à récupérer l’héritage de Forestier. La Comtesse en étant dépositaire, elle est la victime d’une vaste campagne de diffamation. Doit-on pour autant la disculper ? A-t-elle assassiné son amant ou fut-elle accusée à tort ? Les documents tendent à démontrer qu’elle reste fidèle à Forestier jusqu’au décès de ce dernier. Et n’oublions pas qu’en ce cœur de Londres, qui accueille alors toute l’Émigration française majoritairement anti-bonapartiste, la présence de l’éventuel assassin du général Vendéen, célèbre pour son opposition à Napoléon, aurait été remarquée. Or la comtesse demeure en Angleterre jusqu’en 1814. Un article du London Morning Post datée du 7 avril 1810, nous apprend même qu’elle fréquente toujours la haute société et est alors invité à une réception organisée par le Marquis de Stafford en compagnie des Princes de France.
Vers une vie plus tranquille
Les écrits personnels de Leonora, laissent penser que le décès de Forestier l’a dévasté au point qu’elle abandonne alors la politique et n’aspire plus qu’à une vie plus paisible. Est-ce pour échapper aux intrigues accusatrices, qu’elle décide de quitter Londres pour le Pays de Galles ? Lady Glenbervie dans son journal évoque sa rencontre avec la comtesse au printemps 1811 :
” La comtesse Oeynhausen et ses trois filles, qui ont pris une maison entre Lidney Park et Chepstow, est venu le long du chemin de fer (…) pour prendre un déjeuner seul avec nous mardi dernier”.
Il semble qu’elle parvient ainsi à brouiller les pistes des espions de Napoléon, puisqu’en 1811 ils pensent qu’elle vit à Londres et y est malade… Une note de ses dépenses datée de 1813 (Archives du district de Braga) laisse penser qu’elle achète également une petite maison mais que pourtant la vie n’est pas facile pour elle.
Elle retourne au Portugal en 1814 à l’âge de 64 ans. La fin de sa vie est plus calme et consacrée aux arts et belles-lettres. Dans sa demeure d’Almeirim elle reprend ainsi son nom de plume : “Alcipe” et signe de nombreux poèmes qui font d’elle un monument de la littérature portugaise. Elle créée de nouveaux salons littéraires et ouvre même une école pour jeunes filles démunies. Elle est décédée à Lisbonne le 11 octobre 1839 et repose au cimetière de Prazeres à Lisbone.
De nos jours, elle est considérée au Portugal comme une des fondatrices du Romantisme et on n’hésite pas à la qualifier de “Mme de Staël Portugaise”, des rues portent son nom ainsi que des écoles. Une fondation s’occupe de restaurer et promouvoir son œuvre. Mais si des biographies sont régulièrement publiées sur cette femme à la vie étonnante, sa vie à Londres et ses relations avec Forestier sont longtemps restées mystérieuses, et sa famille elle-même ignoraient encore il y a peu, que cette grande figure Portugaise avait aimé un général contre-révolutionnaire Français et fut accusé de son meurtre, très probablement à tort.
Pour en savoir plus sur la Comtesse, lisez “La Comtesse d’Oeynhausen et la Vendée” (suivie d’un fac-similé de la seconde édition des mémoires de Forestier) :
Sources principales :
– Archives de la famille Almeida – Archives de la fondation Almeida et Tavora de Lisbonne – Brithish Library, fond Windham – Londres
– Archives Nationales – Paris
– Archives nationales de Torre do Tombo – Portugal
Retrouvez l’intégralité des sources de cet article dans le livre “La comtesse d’oeynhausen et la Vendée” Bibliographie :