Le mystérieux “général” Vendéen Louis-Jean Bouin
“Peu à peu, l’armée se recruta de braves officiers qui, comme Lacroix, du Rivault, de Beauvollier jeune, de Caqueray, de Chantreau, de Bernes, de Dieusie, de Brocourt, de Nesde, de Saujeon, de Brunet, Beaud-de-Bellevue, Grellier et de Fay, lui rendirent d’importants services. A tous ces gentilshommes, qui prenaient rang parmi les volontaires, il se joignit des bourgeois de plusieurs villes voisines et des paysans qui n’avaient point encore pris part au mouvement. De ce nombre sont Texier, officier de l’artillerie vendéenne ; Tranquille, Allard, l’aide-de-camp de M. Henri ; Palierne, Bouin, Valois…“
Les noms énumérés, ne sont pas des inconnus pour qui s’intéresse à cette période de l’histoire. Ils ont brillé au sein des armées Vendéennes parmi les officiers les plus marquants. Pourtant, dans cette énumération s’est glissé le nom d’un… inconnu : “Bouin“.
Qui était ce mystérieux Bouin ?
Dans l’ouvrage de Crétineau-Joly, une note nous donne des précisions :
“Jean Bouin, marié à Chiché, habitait à Niort, rue Mellaise. Il gagna le Bocage dès le début de la guerre et se fit aussitôt remarquer parmi les plus vaillants soldats. Après la déroute du Mans, il fut placé à la tête d’une troupe assez nombreuse qui tint longtemps la campagne dans les environs de Cholet et de Bressuire. On conserve, à la mairie de Niort, des sauf-conduits délivrés par lui à plusieurs voyageurs ; ils sont signés : Général Bouin.
Vers 1793, il revint à Niort, mais la populace de cette ville, très hostile aux Vendéens, le poursuivait d’une haine implacable. Un jour, une émeute se forma devant sa porte ; on demandait à grands cris “la tête du chouan”. Un gendarme arrive et cherche à calmer les menaces. Peine perdue. Il pénètre alors dans la maison et trouve le vieux brave dans son lit, prêt à rendre le dernier soupir : “Le général est mourant, s’écrie-t-il ; mais je vais faire établir une garde à sa porte, et, s’il guérit, soyez sûrs qu’il n’échappera pas aux châtiments qu’il a mérités.”
Quelques heures après, le Vendéen mourait, et, comme on conduisait son corps au cimetière la populace se précipita sur le cercueil pour s’assurer que c’était bien lui. La cérémonie put alors s’achever sans autre incident.
Le général Bouin mourut très jeune, usé par les infirmités précoces contractées pendant la guerre. Tandis qu’il se battait pour Dieu et pour le Roi, sa famille restait digne de lui et offrit un asile à plusieurs prêtres aux jours de la Terreur. Dieu a récompensé ces actes de courage, non point par les richesses passagères, mais en envoyant à plusieurs de ses membres la vocation religieuse.”
Chose rare pour les historiens de l’époque, Crétineau-Joly donne sa source :
“Notes fournies par l’abbé Victor Bouin, curé d’Epannes, près Niort, petit-fils du général.”
Partant de cette note et de cette source, nous avons tenté d’en savoir plus sur ce mystérieux Bouin.
Que nous apprend cette extrait ?
Plusieurs indices peuvent nous aider à retrouver la trace du “général Bouin” :
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Bouin se prénommait Jean
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Il s’était marié à Chiché (Deux-Sèvres)
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Il habitait Niort
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il avait signé des sauf-conduits avec le titre de général
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Il revint mourir à Niort assez jeune
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Son petit-fils était Victor Bouin, curé d’Epannes (Deux-Sèvres)
Enquête : Sur les traces du général Jean Bouin
Victor Bouin, curé d’Epannes, se disant petit-fils du général vendéen, n’est pas inconnu puisqu’il fut curé d’Epannes, puis de Saint-Hilaire-La-Palud de 1895 à 1907. Le recensement de Saint-Hilaire-La-Palud de 1906 nous indique qu’il était né en 1841 à Niort.
Cette information nous permet de remonter sa généalogie :
Le prêtre Victor Bouin est né en vérité Pierre Victor le 10 mai 1841 à Niort. Il était fils de Philippe Alexandre Bouin et de Louise Martin.
Philippe Alexandre Bouin, décédé à Niort en 1850, était lui-même fils de Pierre Bouin, menuisier, et de Victoire Joséphine Chavanne.
Le grand-père de l’abbé Victor Bouin était donc un Pierre Bouin… et non un Jean Bouin ! Pourtant c’est bien ce dernier qui va nous apporter un début de réponse.
Pierre Bouin épousa Victoire Joséphine Chavanne, le 14 octobre 1811 à Niort. L’acte de mariage, très précis quand à l’ascendance des époux, nous apprend que Pierre Bouin était né à Niort le 24 mars 1778 et que ses parents étaient Louis Jean Bouin, cordier, décédé le 22 thermidor an 8 (10 août 1800) et Catherine Bénigne Merleau, décédée le 17 ventôse an second (7 mars 1794). Louis Jean Bouin était lui-même fils d’André Bouin et de Marie Rolland.
Louis Jean Bouin est-il le général Jean Bouin ?
Aux Archives nationales est conservée une lettre datée de messidor an VI (juillet 1798) signée de l’adjudant-général Peste Turenne Laval, chef de l’état-major de la 12e division. Lettre que, malheureusement je n’ai pu consulter, mais qui présenterait des dénonciations et renseignements relatifs à l’arrestation et à l’évasion de Louis-Jean Bouin, insurgé !
(Archives du Directoire exécutif. Guerre. Volume 1 (an IV – an VIII). Répertoire numérique des articles AF/III/143 à AF/III/149. Inventaire analytique manuscrit rédigé par S. de Dainville-Barbiche (1969)).
Ce “Louis Jean Bouin” insurgé évadé, est peut-être le même qu’évoque l’historien C.L Chassin dans son “Etudes documentaires sur la Révolution Française – Les pacifications de l’Ouest” par Charles Louis Chassin – Tome III” (est-ce un extrait de la lettre de Peste Turenne Laval ?) :
“Une vingtaine de jours plus tard (juin/juillet 1798), on annonçait au commandement de la 12e division que la municipalité de Chiché avait manqué l’arrestation d’un courrier, “Louis Jean Bouin, second mari de la veuve d’un brigand guillotiné pour avoir assassiné plusieurs militaires dans la déroute de Westerman, à Chatillon, en 1793 “
Ainsi, un Louis Jean Bouin semblait bien s’être insurgé dans la région de Chiché, ce qui nous ramène au texte de Crétineau-Joly. Pourtant doit-on conclure que le “Louis Jean Bouin” courrier insurgé, probablement capturé et évadé, de la région de Chiché, est le Louis Jean Bouin décédé à Niort en 1800 ?
L’affirmation de l’abbé Bouin peut le laisser penser, mais existe-t-il d’autres éléments confirmant l’hypothèse ?
Rappelons que l’abbé Bouin affirmait que le “général Bouin” était décédé à Niort encore jeune. Même si 44 ans n’est pas un âge au sortir de l’adolescence, ce n’est pas non plus un âge séculaire, même à l’époque. Le décès de Louis Jean Bouin serait donc en accord avec l’affirmation de l’abbé. De même, à en croire le descendant du “général”, ce dernier serait décédé peu de temps après la guerre. Mais quelle guerre évoquait-il ? La “grande guerre” de 1793 ? ou la révolte de 1799/1800 ? S’il s’agit de cette dernière, à l’évidence décéder le 22 thermidor an 8 (10 août 1800) est également en accord avec les propos de l’abbé puisque rappelons que la troisième guerre de Vendée se termina avec la signature d’un traité de paix à Montfaucon-sur-Moine le 18 janvier 1800.
L’acte de décès de Louis Jean Bouin, ci-dessus, nous indique que ce dernier était époux en secondes noces de Marie Rose Billy.
Reprenons le texte de Chassin :
“(Bouin était) second mari de la veuve d’un brigand guillotiné pour avoir assassiné plusieurs militaires dans la déroute de Westerman, à Chatillon, en 1793″.
Rose Billy
En 1825, une Marie Rose Billy de Niort fit une demande de pension (Archives départementales des Deux-Sèvres- R69 Niort) en tant que veuve de combattant Vendéen… Était-ce la veuve de Louis-Jean Bouin ?
Que nous révèle ce dossier ?
Marie Rose Billy (notée Billi) était veuve d’Augustin Baranger, “cordonnier agé de trente trois ans, de Chiché “.
Cet Augustin Baranger, n’était pas un inconnu, il fut “sacrifié par les bourreaux révolutionnaire” écrivit Marie Rose Billy dans sa demande de pension, et il avait prit “les armes (…) sous les ordres de messieurs henri de la rochejaquelein et de lescur” et qu’il “fut pris les armes à la main, aux environs de thouars et fut conduit à niort ou il a péri sur l’échafaud (le 3 mars 1794)“.
Aux archives Nationales est conservé le jugement d’Augustin Baranger (AN bb3/15-28) :
Marie-Rose Billy épousa Augustin Baranger le 19 juillet 1791 à Chiché. Ils eurent un enfant prénommé Jean Augustin, le 16 avril 1792 à Chiché dont nous reparlerons…
Augustin Baranger fut donc exécuté à Niort le 3 mars 1794.
Ce dernier était le fils de André Bouin et de Marie Rolland. Il était également veuf en premières noces de Catherine Bénigne Merlau et il était né à Niort le 15 juin 1756.
Conclusion
Si nous reprenons les informations données par l’abbé Bouin et relayées par Crétineau-Joly concernant le mystérieux “Général Bouin“, nous savons que ce dernier se prénommait Jean, s’était marié à Chiché, habitait Niort et y serait décédé peu de temps après la guerre et qu’il était le “grand-père” de l’abbé.
Les documents conservés aux Archives Nationales et évoqués par Chassin, permettent d’envisager que ce “Général Bouin” était peut-être un “Louis Jean Bouin” et qu’il était le second mari d’une veuve d’un Vendéen exécuté.
Nous savons désormais que l’arrière-grand-père de l’abbé était précisément un “Louis Jean Bouin” décédé à Niort en 1800, quelques mois après la fin de la troisième guerre de Vendée et époux de Rose Billy, de Chiché, veuve de Augustin Baranger exécuté à Niort en 1794…
En l’absence de preuves formelles, il est difficile d’affirmer catégoriquement que Louis Jean Bouin époux Billy était bien le mystérieux “général Vendéen”, titre dont il s’honora probablement personnellement pour avoir pris la tête de quelques bandes armées qui menèrent le coup de feu contre les républicains durant l’Éphémère révolte de 1799. Néanmoins, les éléments sont troublants et concordent avec les affirmations de l’abbé Bouin.
Quant à Rose Billy, elle décéda à Niort le 3 mai 1847. Son acte ne fait mention ni d’Augustin Baranger ni de Louis-Jean Bouin et les témoins sont extérieurs à sa famille. Quand à son fils Jean Augustin, né en 1792 à Chiché, il resta son fils unique bien qu’elle affirma dans son dossier de pension que si elle échappa elle-même à la guillotine en 1794 c’est grâce à un “enfant qu’elle portait dans son sein (et qui) a suspendu la fureur de ces tigres et par suite des événements la soustraite à la mort mais non à la plus juste douleur, après huit mois de séjour dans les prisons” (enfant qu’elle perdit en prison ?). Elle n’eut donc pas d’enfants avec Louis Jean Bouin.
Un fils dont l’absence lors du décès de Marie Rose Billy résonne tristement, puisque ce dernier fut un conscrit enrôlé dans l’armée Impériale, ce dont elle se lamenta dans son dossier de pension tout en craignant la fin tragique de ce dernier :
Une perte loin de la France confirmée par le registre matricule du 19e Régiment d’Infanterie de ligne (Archives de l’armée de terre – SHD/GR 21 YC 173) :
Archives départementales de Deux-Sèvres – Listes cantonales de tirage au sort, classe 1812 1812 – 1 R 11
Ainsi se termina la vie de Rose Billy, deux fois veuve de combattants vendéens et mère d’un fils emporté par l’hiver russe en 1812.
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