Portrait supposé du général Lyrot
Guerres de Vendée

La mort du général Lyrot à la bataille de Savenay

Portrait de François Jean Hervé de Lyrot - auteur inconnu
Portrait de François Jean Hervé de Lyrot – auteur inconnu

François Jean Hervé de Lyrot est un général Vendéen peu connu. Il ne bénéficie pas de l’aura historique et populaire dont jouissent de nos jours Charette, Stofflet ou La Rochejaquelein… Pour autant son rôle durant l’année 1793 est important et mérite d’être redécouvert.

Un représentant de la petite noblesse parmi d’autres

François Jean Hervé de Lyrot est né le 26 août 1732. Il est le fils de François Lyrot, Conseiller au Présidial de Nantes, et de Marie de l’Ilsle de La Nicolière.

Acte de baptême de François Lyrot - Paroisse Notre-Dame de Nantes
Acte de baptême de François Lyrot – Paroisse Notre-Dame de Nantes

Il appartient à une très ancienne  famille angevino-nantaise1Potier de Courcy, Le Nobiliaire et Armoriale de Bretagne, 2e Edition, 1862 : « Hervé (Lyrot), archer dans une montre reçue à Honfleur en 1416, prisonnier à la prise de cette ville, père de Jean, dont la maison sise au bourg d’Auverné fut anoblie et franchie en 1449 ».

Le blason des Lyrot est dit "D'azur au lion d'argent"
Le blason des Lyrot est dit « D’azur au lion d’argent »

François Jean Hervé de Lyrot ne devait pas entrer dans l’histoire. Il est un représentant de la petite noblesse qui suit une carrière classique dans l’armée2Sa carrière militaire avant la Révolution est peu connue. L’état général de la Marine de 1766 (Nyon libraire et Le Breton imprimeur) évoque un « Chevalier Lirot, lieutenant en premier d’artillerie » enseigne de vaisseaux en 1757 ; et un Chevalier de Lyrot, enseigne, lieutenant de la VIIe compagnie de la brigade d’artillerie attachée à la marine, ou la magistrature, et qui vit en partie de ses rentes3Le futur général Vendéen était seigneur de La Patouillère (Saint-Sébastien sur Loire [44]), mais possédait également des biens à Nantes (manoir de La Civeliere), à Haute Goulaine (La Censive), des marais à Saint-Cyr-en-Retz et Bourgneuf… et par son épouse, le manoir de La Jarrie (Saint-Germain-sur-Moine), de nombreuses métairies dans la même commune, et de nombreux autres biens à Monfaucon, Montigné, Saint-Crépin, Roussay, Torfou, Saint-Macaire, Tourmantine, Beaupréau, La Chapelle Aubry, La Bruffière, Boussay, Gesté, aux Landes-Genusson (85), etc  . Il épouse, le 11 février 1760 à Saint-Germain-sur-Moine, en Anjou (aujourd’hui en Maine-et-Loire), Agathe Marie Joubert4Agathe Marie Joubert, née à Montigné-sur-Moine (49) le 26 mars 1746 et décédée à Saint-Germain-sur-Moine (49) le 25 septembre 1768. avec laquelle il a quatre enfants :

  • Guillaume Jacques François, né le 8 mai 1761 à Saint-Germain-sur-Moine5Emigré durant la Révolution, il est décédé à Londres le 7 avril 1804..
  • Philippe Hervé, né le 10 août 1764 à Monfaucon-sur-Moine (49)6Il devient officier dans la marine, entrant au service du Roi en 1780. Il est capturé et emprisonné durant deux mois après le combat naval du 15 février 1783 opposant La Concorde, frégate française, au HMS Magnificient, navire anglais, au large de la Guadeloupe. Sous la révolution, il continue sa carrière dans la marine de la République ; devenant capitaine de vaisseau et luttant dans les Iles-sous-le-Vent, s’illustrant en 1793 en capturant deux navires anglais. Inscrit pourtant sur la liste des émigrés par le district de Nantes, il est destitué par un décret de Jean-Bon-Saint-André. Il entre alors en lutte pour être rayé de la liste des émigré et entame des démarches pour récupérer les biens de son père.  . 
  • Marie Alexandre, né le 21 mai 1766 à Saint-Germain-sur-Moine7IEmigré durant la Révolution. Il épouse en 1815 à Nantes, Louise de Santo-Domingo. Il est décédé à Nantes le 14 mai 1848.
  • Agathe Marie Marguerite,  née le 4 septembre 1768 à Saint-Germain-sur-Moine8Elle épouse Bathélémy Savoyet, le 27 juin 1796 à Nantes. Décédée à Saint-Germain-sur-Moine, le 24 septembre 1796..

Le général Vendéen

François Jean Hervé Lyrot semble épouser d’abord les idées de la Révolution, devenant le premier maire de la commune de Saint-Sébastien sur Loire (44).  Lyrot se désintéresse rapidement de la vie municipale ; peut-être après que plusieurs quartiers de Saint-Sébastien aient été rattachés à Nantes (Saint-Jacques, Pirmil, Dos-d’âne et Vertais). Des visites sont alors ordonnées contre lui, en septembre 1792 « pour faire perquisition des armes et munitions, en faire la saisie s’il s’en trouve, faire arrêter et conduire au château… les hommes armés… même le sieur Lyrot Patouillère« 9AD44 – L42 et L1050 – Cité dans L’insurrection de mars 1793 en Loire-Inférieure – Association Nantes-Histoire – 1993..

Lorsqu’éclate l’insurrection en mars 1793, les insurgés viennent le chercher pour prendre leur tête. Mais il semble hésiter, comme en témoignent les documents de l’époque : »Menacé d’être conduit à la tête des insurgés« , selon la déclaration de la citoyenne Mégret, veuve Dorion. Lyrot aurait même ajouté qu’il « préférait être mis en prison au Loroux, plutôt que d’aller à la tête des brigands« 10AD44 – L350 – Cité dans L’insurrection de mars 1793 en Loire-Inférieure, Association Nantes-Histoire, 1993. Il aurait alors gagné Montfaucon-sur-Moine pour consulter la noblesse des Mauges et finalement accepter de commander les paroisses insurgées entre Loire et Sèvre. Dès le 12 mars, il est signalé à la tête de troupes dans ce secteur. En avril, il est nommé commandant de la division du Loroux qui englobe les paroisses de Vallet, Clisson, Vertou, Aigrefeuille et Le Loroux.

Carte de La Loire-Inférieure - 1846
Carte de La Loire-Inférieure – 1846

Durant les premiers mois de guerre, en véritable chef indépendant, selon les besoins il s’allie avec les troupes de Charette dans le Marais vendéen, avec La Cathelinière dans le Pays de Retz au sud-ouest de Nantes et surtout avec la Grande armée Catholique et Royale d’Anjou. Il assure une position stratégique au sud de Nantes, contrôlant la route de Nantes à Cholet. Il s’illustre en particulier le 20 juin 1793, en s’emparant du camp républicain de La Louée (Haute-Goulaine) à quelques lieues de Nantes face au général Beysser. Et quelques jours plus tard, il participe au siège de Nantes, les 28 et 29 juin. Il s’empare alors du faubourg Saint-Jacques au sud de la ville, et commence à canonner la cité. Mais, face à la défaite de la Grande Armée, il ordonne à son tour la retraite de ses troupes.

En septembre 1793, il participe avec Charette à l’attaque du camp républicain des Naudières ; et s’illustre à nouveau en tentant de couper la retraite de l’armée de Mayence après la défaite de cette dernière à Torfou. En octobre il protège la fuite du général Bonchamps et du Généralissime d’Elbée, tous deux blessés durant la bataille de Cholet. Puis, il traverse la Loire à Oudon pour établir une tête de pont et permettre aux vendéens en déroute de traverser la Loire à Saint-Florent-le-Vieil. Il est ainsi embarqué avec les restes de l’Armée d’Anjou dans la « Virée de Galerne« , expédition jusqu’en Normandie ponctuée de nombreuses batailles auxquelles il participe. Membre de l’état-major, il est un des derniers généraux11Avec Lyrot, restent notamment le général en chef Fleuriot et le général Marignyà la tête de l’armée Vendéenne d’Anjou lors de l’ultime bataille de cette dernière, à Savenay (44), les 22 et 23 décembre 1793. C’est au cours de cette ultime combat, que Lyrot est tué.

La mort de Lyrot

Les circonstances de la mort du général sont mal connues. Son unique biographe, Le baron Le Menuet de La Jugannière12le baron Le Menuet de La Jugannière, Le général de Lyrot, Firmin-Didot et Cie, 1936, écrit simplement :

Comment tomba Lyrot ? Fut-il tué au cours de la lutte ou, blessé et mis hors de combat, fut-il une des victimes de ces horribles fusillades qui fauchèrent la plupart de ceux qui ne purent fuir le champ de bataille ? Nul ne le saura ; mais ce que l’on peut affirmer, c’est qu’il tomba face à l’ennemi et qu’il ne rendit pas son épée.

Et plus loin :

Lyrot dut tomber, lors du tir des deux dernières pièces de Marigny, qu’aux premiers symptômes de la défaite, ce dernier fit rapidement atteler et mettre en batterie sur la route de Guérande, à la lisière d’un petit bois, face à Savenay, à une demi-lieue de cette localité, dans le but de protéger l’écoulement des fuyards, pièces dont les coups sonnèrent le glas de l’armée d’outre-Loire.

Si le biographe de Lyrot ignore les détails et imagine une mort glorieuse auprès des canons de Marigny, qu’en est-il des historiens qui se sont penchés sur la bataille de Savenay ?

En 1806, c’est Alphonse de Beauchamp qui le premier évoque les actions de Lyrot à Savenay les 22 et 23 décembre 179313 Alphonse de Beauchamp, Histoire de la Guerre de la Vendée et des Chouans, depuis ses origines jusqu’à la pacification de 1801,Paris, Giguet et Michaud, 1806. :

A quatre heures du soir, l’avant-garde des royalistes commandée par Lyrot-la- Patouillère, occupa Savenay. Ce bourg situé sur une hauteur, pouvait se défendre. Lyrot plaça des vedettes sur les points les plus élevés, des gardes en avant, l’artillerie en face des principales avenues. Westermann et Kléber se présentent à la tête de l’avant – garde républicaine ; ils placent en position sur le flanc droit de la route une pièce d’artillerie volante, embusquent l’infanterie et attaquent les avant-postes avec la cavalerie légère. Lyrot sort de Savenay avec toutes ses forces, donne un instant dans le piège mais il quitte bientôt la plaine pour se retrancher dans un bois qui se trouvait en face. Attaqué vivement, on tue à ses côtés Laugrenière ; mais Lyrot oppose une défense courageuse, et obtient quel qu’avantage contre l’avant-garde républicaine qui n’était point en force, les colonnes de l’armée ne se réunissant que les unes après les autres. Fleuriot et Bernard de Marigny arrivent, et tout ce qui reste de Vendéens prend position.

[…]

Les combattants sans céder un instant au sommeil, attendirent avec impatience le jour. Il parut à peine, que Marceau fit battre la générale,  et développa des dispositions formidables. Toutes les colonnes s’ébranlent à la fois sur Savenay ; l’attaque est entamée par Kléber et Westermann ; les Vendéens rangés en bataille sur un seul front veulent suppléer au petit nombre par leur audace. Ils marchent à la rencontre des républicains qu’ils ébranlent par un premier choc ; mais la division Tilly, composée des braves soldats d’Armagnac et d’Aunis, avancent sur eux la baïonnette en avant. Westermann, Kléber et Beaupuy filant par les hauteurs derrière Savenay, tournent en même temps les royalistes, et par cette manœuvre, leur ôtent tout espoir de salut. Fleuriot et Bernard de Marigny ne cherchant plus qu’à se soustraire à la mort , se font jour l’épée à la main , à travers les colonnes républicaines ; ils gagnent ainsi les bois environnants avec une partie de l’armée ; le reste ne pouvant les suivre, court avec Lyrot se réfugier dans Savenay même, au moment où la division Tilly qui entrait le côté opposé, fond avec l’impétuosité de l’éclair sur tout ce qui veut lui opposer quelque résistance. La baïonnette enfonce les rangs des royalistes, dont le désespoir lutte en vain contre la mort. Lyrot tombe percé de coups ; les canonniers vendéens périssent sur leurs pièces , et Savenay est en un moment couvert de cadavres.

Ainsi pour Beauchamp, Lyrot est tombé lorsque l’armée républicaine entre dans la ville.

En 1840, l’historien Jacques Crétineau-Joly14Histoire de la Vendée militaire, volume 1 – Paris, 1840., écrit :

Tout à coup Kléber, Beaupuy et Westermann descendent des hauteurs où ils sont campés. A cette attaque, Fleuriot et d’autres chefs s’ouvrent à la baïonnette un chemin à travers les bleus, et gagnent les forêts voisines. Marigny, Piron et Lyrot se frayent une autre route sur les cadavres dont ils ont jonché la terre, et ils rentrent dans Savenay au moment où Kléber y pénètre du côté opposé. Là , un nouveau carnage recommence. Afin d’assurer aux femmes un moyen de retraite, Marigny pointe deux canons sur la route de Guérande, et à trois reprises, il rentre dans Savenay, qu’il est contraint d’évacuer trois fois. Lyrot, accablé par le nombre, expire sous les baïonnettes républicaines.

Doit-on trouver ici l’origine de l’hypothèse de Le Menuet de La Jugannière sur l’éventuelle mort de Lyrot auprès des canons de Marigny sur la route de Guérande ? Bien qu’objectivement, Crétineau-Joly ne l’écrit pas ainsi, le fait qu’il fasse se côtoyer Marigny et Lyrot jusqu’au dernier moment, permet de s’interroger. Hypothèse affirmée en 1858 dans la Revue des provinces de l’Ouest15Revue des provinces de l’Ouest – Nantes, Septembre 1858 – page 410  :

Marceau fut arrêté dans son mouvement par une batterie construite sur la route, à l’entrée de Savenay, à côté du Bois des  Amourettes. Les Vendéens durent céder au nombre. Les pièces de canon n’ayant pas été prises, furent placées de nouveau dans l’intérieur de la ville, en face d’un chemin qui conduisait à la route de Nantes. A peine s’y trouvaient-elles, que Kléber se présente, avec Westermann, à la tête de la cavalerie , pour franchir cet obstacle. Une femme allait y mettre le feu, lorsqu’un dragon, qui avait pénétré jusque-là, lui abattit le bras d’un coup de sabre. Là , Marceau et Kléber se rejoignirent ; Canuel , resté en arrière, arriva presque en même temps. Deux pièces de canon avaient été placées en réserve par les Vendéens, en face de l’église. La rue excessivement étroite qui y conduisait, fut fatale aux républicains ; un grand nombre succombèrent sous le feu ennemi. La résistance cependant devenait impossible ; il fallut céder. Replacées en batterie sur la route de Guérande, elles retardèrent encore de quelques instants une défaite inévitable. Les troupes républicaines y répondirent en établissant une batterie sur l’endroit même que les Vendéens venaient d’abandonner, et ces derniers coups de canon furent le signal d’une victoire qui ne pouvait plus être disputée. Les canonniers vendéens se firent tuer sur leurs pièces. Deux de leurs chefs, MM. Piron et de Lyrot, succombèrent dans ce dernier combat.

En 1878, l’abbé Deniaud écrit à son tour, un version différente16Histoire de la guerre de la Vendée , J. Siraudeau éditeur, 1878. :

Marigny, qui est entraîné hors des murs, se rappelle ce qu’il a promis à Mme de Lescure, il saisit le drapeau que cette dame a brodé aux premiers temps de l’insurrection et se précipite avec une poignée d’hommes d’élite au plus épais des Républicains. Il est repoussé quatre fois, quatre fois il revient à la charge. La mort ne veut pas de lui. Le jeune Lavoirie, âgé de quatorze ans, ne le quitte pas. Sur un autre point, Fleuriot , Donnissan, Desessarts font aussi des efforts héroïques, ils ne veulent pas fuir. A la baïonnette, ils s’ouvrent un chemin à travers les Bleus, passent sur les morts dont la terre est couverte et rentrent dans Savenay. Ils se trouvent en face de la colonne de Kléber, dont ils essuient le feu , et un nouveau carnage commence. Lyrot et la Roche-Saint-André sont tués.

Cette fois, Deniaud se rapproche de la version de Beauchamp, et nous présente un Lyrot mourant dans Savenay  alors que les troupes de Kleber y pénètrent.

Ferdinand Guériff écrit en 1988 dans son livre La bataille de Savenay dans la Révolution17Ferdinand Guérif,La bataille de Savenay dans la Révolution, Edition Jean Marie Pierre, 1988 reprend à son compte la mort de Lyrot en ultime défenseur des canons sur la route de Guérande:

Les rescapés contournent le petit cimetière, dévalent la pente du côteau et se rallient sur l’autre pente (à l’endroit précis où s’élève la croix commémorative), autour des deux dernières pièces de canon que le prévoyant Marigny a fait placer dès le début de l’action […].

Enfin, les Républicains enlèvent les batteries et les retournent contre les fuyards. les rescapés contournent le petit cimetière, dévalent la pente du coteau et se rallient sur l’autre pente (à l’endroit précis où s’élèvent la croix commémorative), autour des deux dernières pièces de canon que le prévoyant Marigny a fait placer dès le début de l’action.

« Allons les gars, c’est ici qu’il faut tenir ou mourir pour donner aux femmes et aux enfants, le temps d’aller plus loin ! »

« Tout ce que vous voudrez, monsieur de Marigny ! » répondent  les artilleurs commandés par le brave Chollet.

Lyrot tombe, percé de coups, à côté du petit Auguste de La Voyerie, âgé de 14 ans qui se bat comme un homme.

Mais si Guériff impose la mort de Lyrot parmi les ultimes défenseurs sur la route de Guérande ; il  s’empresse de préciser dans ses notes :

On ne sait pas s’il ne fut que blessé, fait prisonnier et exécuté ensuite.

Une autre étude concernant la bataille, publiée en 201018Simone Loidreau, Savenay, honneur et grandeur des vaincus, Histoire militaire des guerres de Vendée, édition Economica, 201., précise :

Tout est perdu en effet. Et la fuite commence. heureusement, il reste les deux canons, postés dans la rue de Guérande actuelle ; Marigny les avais mis là dès la veille, pour protéger la fuite des femmes […].

Une fois encore, les artilleurs défendent leurs leurs pièces jusqu’au bout. C’est là que Lyrot de La Patouillère succomba, ainsi que le chevalier de Saint-André, percé de 12 coups de sabre.

Ainsi, l’image de Lyrot tombant bel et bien auprès des derniers canons, semble petit à petit s’imposer dans l’imagerie Vendéenne…

Au delà de l’évolution des versions, la difficulté résulte dans le fait qu’aucun de ces récits ne donne ses sources… Impossible donc de trancher. Lyrot tombe-t-il aux côtés des canons de  Marigny sur la route de Guérande, ou lors de l’entrée des Républicains dans la ville  ?

Avant de tenter de percer le mystère, complétons tout de suite en éliminant l’hypothèse d’une exécution, ce dont les Républicains n’auraient pas manqué de se glorifier. Mais ni Kleber dans ses Mémoires, ni Marceau ou Westerman dans leurs correspondances évoquant la bataille, ne parlent de lui. Pas plus que le Moniteur Universel du 27 décembre 1793, qui donne un long compte-rendu de la bataille dans lequel est pourtant bien évoquée la mort de certains Vendéens de haut rang comme Dominique Piron, général commandant de la division d’Anjou19En vérité, il parvint à s’échapper et fut tué le 10 mai 1794 en tentant de traverser la Loireou encore Dominique Jaudonnet de Laugrenière 20Il fut en vérité capturé et emprisonné à Nantes où il fut finalement guillotiné le 14 janvier 1794…. Deux officiers importants mais qui pourtant survivent à la bataille comme les autres principaux généraux Vendéens présents ce jour là : Le généralissime Jacques Nicolas Fleuriot (1738-1824) ; Gaspard de Bernard de Marigny (1754 – 1794) ; Guy Joseph de Donnissan (1737 – 1794). Lyrot est le seul général d’importance tué à Savenay, mais la République l’ignore. Il n’est donc pas exécuté, mais bel et bien mort au combat.

Un document méconnu

Si les historiens ne peuvent éclaircir les circonstances de la mort du général Vendéen, un document méconnu nous donne une précision quant au lieu exacte où Lyrot est tombé. Il s’agit simplement de son acte de décès, rédigé le 8 floréal an IV (27 avril 1796) dans les registres de Nantes21Section Pont et Outre Loire – Archives Municipales de Nantes – 1E116. Cet acte de décès a été retrouvé après avoir compulsé aux Archives départementales de Loire-Atlantique la cote L 1880 (minutes du greffe du tribunal civil du département) où se trouve une pétition de son fils Philippe Hervé Lyrot officier de marine au service de la République qui exposait le 9 nivôse an V que :

« François Jean Hervé Lyrot son père est péri au commencement du mois de nivôse an deux, lors de l’action qui eut lieu près de de Savenai ; longtemps il lui a été impossible de constater ce décès, enfin au mois de floréal an quatre, il parvint à découvrir des traces de ce décès, et fit comparaitre à la municipalité de Nantes (n’y en ayant pas d’organisée à Saint Sébastien, domicile ordinaire du défunt), deux particuliers qui attestèrent ce décès, mais peu instruits de la nouvelle dénomination des mois, ils ont donné pour époque le vingt un nivôse en ajoutant que l’affaire où Lyrot avait péri avait lieu le dix neuf du même mois. C’est une erreur qu’ils ont commis puisque l’affaire eut lieu le deux du même mois de nivôse, et  ce fut le lendemain trois qu’il fut vu mort (…)« 

L’acte de décès précise :

Joseph Legros, officier marin, âgé de vingt-huit ans, demeurant section de la Liberté, rue Malherbe, et Pierre Angebault, farinier, âgé de quarante-un ans, demeurant bourg et commune de Rezé-les-Moutiers ; lesquels m’ont déclaré que le vingt-un nivose an deux, passant sur la route de Savenay à la Roche Sauveur, vers les dix heures du matin ils virent et reconnurent parmi les morts restés sur la dite route à la suite de l’affaire qui avait eu lieu le dix neuf du même mois, François Hervé Lirot-Patouillere, cultivateur, veuf de Agathe Joubert, natif de la ci-devant paroisse de Notre-Dame de cette commune, fils de François Lirot Patouillere et Marie Delisle-Nicoliere, âgé alors d’environ soixante deux ans, demeurant ordinairement à La Patouillerre commune de Saint-Sébastien-les-Nantes22Notons la confusion dans les dates – La date du 19 nivove an II avancée comme étant celle de la bataille correspond au 8 janvier 1794. Cette erreur de date fut l’origine des nombreuses démarches de la part de Philippe Lyrot, le fils du général, pour faire rectifier cette date en vue de récupérer la succession de son père .

Acte de décès de Lyrot

Acte de décès de Lyrot
Acte de décès de Lyrot

Ainsi le général a succombé, non sur la route de Guérande, mais sur la route de Savenay à La Roche Sauveur (aujourd’hui La Roche-Bernard, dans le Morbihan)23La Roche-Bernard, commune du Morbihan, fut nommée La Roche-Sauveur entre 1793 et 1802.. Détail géographique qui remet en question l’hypothèse d’un ultime sacrifice avec les derniers défenseurs vendéens autour des canons de Marigny.

Carte du XIXe siècle
Carte du XIXe siècle

Que nous disent les historiens et témoins de l’époque pour essayer de comprendre les circonstances de la mort de Lyrot ?

La bataille de Savenay
La bataille (sur Cadastre Napoléonien) – En bleu : la route de Savenay à Nantes – En jaune : la route de Savenay à Guérande – En rouge : la route de Savenay à Pontchâteau (et La Roche-Bernard) – En vert : Route intermédiaire permettant de rejoindre la route principale de Nantes à Vannes via La Roche-Bernard.

Sur la carte ci-dessus, le corps de Lyrot a probablement été vu aux abords de Savenay soit sur la route menant à Pontchâteau (rouge) soit sur la route menant vers l’axe Nantes-Vannes (en vert). Les deux menant vers La Roche-Sauveur. Que s’est-il passé dans ces secteurs ?

Le bois des Amourettes

Fernand Guériff dans son livre sur la bataille de Savenay écrit :

Au centre, dans l’allée de la Touchelais, les Royaux culbutent les premières lignes de Kléber, se saisissent de deux canons qu’ils retournent et font prisonniers quarante grenadiers.

Aussitôt, Kléber intervient. Ce diable d’homme veille à tout […].

Et il fait donner à la baïonnette le 31éme régiment de gendarmerie de la division Tilly, mis en réserve – celui qui a déjà combattu les Royalistes avec succès à Grandville.

Lyrot se défend un instant dans ses retranchements, perd des hommes, mais inflige aussi des pertes à l’ennemi […]

Leur élan brisé, harcelé de tous côté, les Vendéens reculent à leur tour jusqu’au chemin de la Justice, à l’orée du bois des Amourettes, et démasquent brusquement deux canons. A pieds, Lyrot, Fleuriot, Marigny, Piron, Des Essarts et Laugrenière cherchent à entrainer leurs hommes.

Dans le récit de Fernand Guériff, la dernière mention de Lyrot au combat se situe au niveau du Bois des Amourettes longée par la route intermédiaire (en vert sur notre carte) face aux troupes de Kléber. Malheureusement ce dernier dans ses Mémoires, n’entre pas dans les détails de ce combat autour du bois.

Destruction complète des Vendéens à Savenay, illustration de Yan' Dargent
Destruction complète des Vendéens à Savenay, illustration de Yan’ Dargent

Que disent les rapports officiels de l’époque ?

Le 10 nivôse, le Directoire du District de Savenay rédige un compte rendu de la bataille24AD44 – L288 :

Sur les sept heures du matin, Savenay se trouve investi , 12 à 15 milles rebelles des deux sexes s’en emparent ; ils avaient de nombreux équipages beaucoup de cavalerie avec sept à huit pièce de canons et autant de caissons.

L’on ignorait qu’ils fussent poursuivis, cependant ils l’étaient de très près, puisque des l’après Midi du même jour deux Nivôse sur le soir, les troupes de la République attaquèrent l’avant poste que les rebelles avaient placés proche du lieu du Moire, sur la grande route de Nantes à Vannes. il y eut quelques actions dans la nuit pendant la quelle les troupes Républicaines se réunirent malgré le mauvais tems.

Le lendemain trois Nivôse des environs les deux heures du matin, le combat commença, le poste que les Rebelles avaient établi au Moire fut repoussé, battu, mis en déroute, et au même moment les colonnes Républicaines pénétrèrent dans Savenay sur plusieurs points. La place, toutes les issues et les environs étaient si remplis par l’armée des Rebelles qu’à peine pouvait-on se tourner. L’instant d’après ils n’existaient plus qu’en monceaux sur le champ de bataille et la place ruisselle de leur sang, les troupes Républicaines poursuivent les fuyards et tous les environs de Savenay, sont aussitôt couverts de morts ; une colonne de ces révoltés prend la grande route de Guérande, partie sont exterminés le long du chemin et le reste, parmi lequel il y avait beaucoup de cavalerie est détruit à Montoir et obligé de s’enfoncer et de perdre dans un marais.

Ce rapport n’offre guère plus de précisions.

Pas plus que celui du général Westerman qui commande également une partie des troupes républicaines25Campagne de la Vendée, du général de brigade Westermann, commandant en chef la légion du Nord. Contenant tous les faits à sa connaissance, sur lesquels la Convention nationale et son Comité de salut public lui ont demandé les détails – Paris, An III. :

L’armée arrive et prend position à une demi-lieue de Savenay ,l’avant – garde resta près de cette ville toute la nuit sans feu. Vers minuit , je place une pièce de 8 à l’avant-garde , et je fais avancer des patrouilles sur les deux flancs. Je commence la canonnade, l’ennemi riposte toute la nuit. Je m’éloigne beaucoup sur la gauche ,pendant que l’on amusait les brigands sur la route, je fais la reconnaissance de la ville. En revenant je dis aux soldats : Demain, c’est la fin de la guerre…. Vers trois heures du matin , je me retire et prends un peu de repos. Le 3 à la pointe du jour, Marceau fit battre la générale et chargea Kleber et moi de l’attaque. Sans nous attendre, l’ennemi s’avance sur notre avant-garde qui se replie sur la division de Cherbourg , tandis que moi je conduisais la division de Kleber avec le général Canuel à un chemin sur la gauche pour couper la ville et entrer par derrière. Kleber se chargea du front et de la droite. La division de Cherbourg fonce sur l’ennemi avec son courage ordinaire. Déjà nous paraissons sur la hauteur, derrière la ville , lorsque les brigands nous aperçoivent. Bientôt ils se sauvèrent à toutes jambes en criant hautement à la trahison : tout le monde court dessus , et Savenay est à nous.
Dans l’hypothèse où Lyrot a été tué en quittant sa position au niveau du Bois des Amourettes pour se replier dans la ville, il est possible alors que son corps ait été vu sur le bord de la route intermédiaire (en vert), ce qui laisserait penser qu’il est en vérité tué dès le début du repli de ses troupes, lorsque les premières maisons de Savenay sont investies par les Républicains.
En 1998, le groupe d’Histoire Locale de Savenay publie un petit dépliant dans lequel il est noté :

Retraite des Blancs après regroupement au pied du moulin du Rocher, Lyrot, La Roche-Saint-André tués sur leurs pièces.

Malheureusement, ce document n’est qu’un dépliant d’information touristique. Il ne donne donc pas de sources précises. Remarquons quand même, cette précision sur le lieu où Lyrot serait tombé : Le Moulin du Rocher… Ce dernier est situé précisément près de la route de Savenay à Pont-Chateau (en rouge).

La dernières charge des Vendéens

Le Moulin du Rocher
Le Moulin du Rocher

Guériff écrit :

Fleuriot décide de dégager la droite pour assurer la retraite. Avec deux cents ou trois cents cavaliers, suivis de quelques fantassins, l’arme haute, il s’élance en une charge désespérée qui perce et enfonce les rangs de la division Tilly, dans la direction du Bas-Matz, avec l’intention de revenir surprendre les bleus par derrière.

Mais des réserves arrivent, colmatent la brèche, et le détachement ne peut revenir sur ses pas. Il abandonne la lutte et s’enfuit vers le Gâvre…

La charge menée par Fleuriot se fait précisément le long de la route de Pontchâteau (route rouge) et le Moulin du Rocher… Peut-on imaginer que Lyrot protège cette charge ou en fait partie et succombe  parmi d’autres sous les feux ennemis  ?

Pourquoi pas ? Mais dans la mesure où plusieurs des cavaliers qui percent les rangs Républicains et se réfugient dans la forêt du Gâvre, survécurent à la guerre26Signalons parmi les cavalier qui participèrent à cette charge et survécurent à la guerre : Fleuriot lui même, mais aussi Georges Cadoudal, Mercier-la-Vendée, ou encore Louise Regrenille. ; il est surprenant qu’aucun ne témoigne par la suite de la fin du général Lyrot…

Conclusion

En l’état actuel des recherches, impossible donc de savoir précisément où et comment est tombé le général Lyrot.  Néanmoins, il semble certain, nous semble-t-il, qu’il n’est pas de ceux qui luttent jusqu’à la dernière seconde sur la route de Guérande, mais qu’il est tué plus tôt dans cette journée du 23 décembre 1793. Soit en se repliant de sa position près du bois des Amourette soit en tenant un dernier point de résistance près du Moulin du Rocher. A moins qu’un autre témoignage n’attende dans les archives d’être découvert et apporte, un jour, un nouvel éclairage sur la fin du héros Vendéen.

 

Auteur / autrice

Notes

  • 1
    Potier de Courcy, Le Nobiliaire et Armoriale de Bretagne, 2e Edition, 1862 : « Hervé (Lyrot), archer dans une montre reçue à Honfleur en 1416, prisonnier à la prise de cette ville, père de Jean, dont la maison sise au bourg d’Auverné fut anoblie et franchie en 1449 »
  • 2
    Sa carrière militaire avant la Révolution est peu connue. L’état général de la Marine de 1766 (Nyon libraire et Le Breton imprimeur) évoque un « Chevalier Lirot, lieutenant en premier d’artillerie » enseigne de vaisseaux en 1757 ; et un Chevalier de Lyrot, enseigne, lieutenant de la VIIe compagnie de la brigade d’artillerie attachée à la marine
  • 3
    Le futur général Vendéen était seigneur de La Patouillère (Saint-Sébastien sur Loire [44]), mais possédait également des biens à Nantes (manoir de La Civeliere), à Haute Goulaine (La Censive), des marais à Saint-Cyr-en-Retz et Bourgneuf… et par son épouse, le manoir de La Jarrie (Saint-Germain-sur-Moine), de nombreuses métairies dans la même commune, et de nombreux autres biens à Monfaucon, Montigné, Saint-Crépin, Roussay, Torfou, Saint-Macaire, Tourmantine, Beaupréau, La Chapelle Aubry, La Bruffière, Boussay, Gesté, aux Landes-Genusson (85), etc 
  • 4
    Agathe Marie Joubert, née à Montigné-sur-Moine (49) le 26 mars 1746 et décédée à Saint-Germain-sur-Moine (49) le 25 septembre 1768.
  • 5
    Emigré durant la Révolution, il est décédé à Londres le 7 avril 1804.
  • 6
    Il devient officier dans la marine, entrant au service du Roi en 1780. Il est capturé et emprisonné durant deux mois après le combat naval du 15 février 1783 opposant La Concorde, frégate française, au HMS Magnificient, navire anglais, au large de la Guadeloupe. Sous la révolution, il continue sa carrière dans la marine de la République ; devenant capitaine de vaisseau et luttant dans les Iles-sous-le-Vent, s’illustrant en 1793 en capturant deux navires anglais. Inscrit pourtant sur la liste des émigrés par le district de Nantes, il est destitué par un décret de Jean-Bon-Saint-André. Il entre alors en lutte pour être rayé de la liste des émigré et entame des démarches pour récupérer les biens de son père. 
  • 7
    IEmigré durant la Révolution. Il épouse en 1815 à Nantes, Louise de Santo-Domingo. Il est décédé à Nantes le 14 mai 1848.
  • 8
    Elle épouse Bathélémy Savoyet, le 27 juin 1796 à Nantes. Décédée à Saint-Germain-sur-Moine, le 24 septembre 1796.
  • 9
    AD44 – L42 et L1050 – Cité dans L’insurrection de mars 1793 en Loire-Inférieure – Association Nantes-Histoire – 1993.
  • 10
    AD44 – L350 – Cité dans L’insurrection de mars 1793 en Loire-Inférieure, Association Nantes-Histoire, 1993
  • 11
    Avec Lyrot, restent notamment le général en chef Fleuriot et le général Marigny
  • 12
    le baron Le Menuet de La Jugannière, Le général de Lyrot, Firmin-Didot et Cie, 1936
  • 13
    Alphonse de Beauchamp, Histoire de la Guerre de la Vendée et des Chouans, depuis ses origines jusqu’à la pacification de 1801,Paris, Giguet et Michaud, 1806.
  • 14
    Histoire de la Vendée militaire, volume 1 – Paris, 1840.
  • 15
    Revue des provinces de l’Ouest – Nantes, Septembre 1858 – page 410
  • 16
    Histoire de la guerre de la Vendée , J. Siraudeau éditeur, 1878.
  • 17
    Ferdinand Guérif,La bataille de Savenay dans la Révolution, Edition Jean Marie Pierre, 1988
  • 18
    Simone Loidreau, Savenay, honneur et grandeur des vaincus, Histoire militaire des guerres de Vendée, édition Economica, 201.
  • 19
    En vérité, il parvint à s’échapper et fut tué le 10 mai 1794 en tentant de traverser la Loire
  • 20
    Il fut en vérité capturé et emprisonné à Nantes où il fut finalement guillotiné le 14 janvier 1794…
  • 21
    Section Pont et Outre Loire – Archives Municipales de Nantes – 1E116
  • 22
    Notons la confusion dans les dates – La date du 19 nivove an II avancée comme étant celle de la bataille correspond au 8 janvier 1794. Cette erreur de date fut l’origine des nombreuses démarches de la part de Philippe Lyrot, le fils du général, pour faire rectifier cette date en vue de récupérer la succession de son père
  • 23
    La Roche-Bernard, commune du Morbihan, fut nommée La Roche-Sauveur entre 1793 et 1802.
  • 24
    AD44 – L288
  • 25
    Campagne de la Vendée, du général de brigade Westermann, commandant en chef la légion du Nord. Contenant tous les faits à sa connaissance, sur lesquels la Convention nationale et son Comité de salut public lui ont demandé les détails – Paris, An III.
  • 26
    Signalons parmi les cavalier qui participèrent à cette charge et survécurent à la guerre : Fleuriot lui même, mais aussi Georges Cadoudal, Mercier-la-Vendée, ou encore Louise Regrenille.

Laisser un commentaire