Germaine Dulac, à l’avant-garde du cinéma !
Dans les dictionnaires des réalisateurs de cinéma, on trouve peu de femmes, et si nous devions en citer ce seraient Jane Campion, Agnès Varda, Kathrin Bigelow, Catherine Breillat… moins d’une dizaine malheureusement ! Pourtant, parmi les pionniers du cinéma, il y avait plusieurs femmes, dont Germaine Dulac, première réalisatrice française, figure majeure de l’Avant-garde d’entre-deux guerres. Elle est née Charlotte Elisabeth Germaine Saisset-Schneider le 17 novembre 1882 à Amiens, fille du général Maurice Saisset-Schneider et de Madeleine Weymel, petite-fille de Julien Aristide Saisset et d’Elisabeth Schneider, et arrière-petite-fille du général Virgile Schneider ancien officier napoléonien et ministre de la Guerre sous la monarchie de Juillet. Ce dernier étant le cousin germain d’Adolphe et d’ Eugène Schneider, les célèbres maîtres de forges du Creusot.
Durant son enfance, au gré des changements de garnison de son père, alors officier elle connaît plusieurs déménagements successifs. De plus, en 1898, l’internement contre son gré de sa mère dépressive suite au décès d’un enfant fait que Germaine fut confiée au pensionnat Sainte-Marie de la Visitation de Saint-Étienne de 1893 à sa majorité. Elle alla vivre ensuite près de l’Opéra Garnier chez sa grand-mère paternelle Jeanne Schneider (fille de la comtesse polonaise Catherine Zaleska). Germaine se forme à la danse auprès d’Ida Rubinstein et d’Isadora Duncan, elle aurait même assisté à une représentation de l’américaine Loïe Fuller et ses voiles transparents reflétant les projecteurs. Elle s’intéresse à la photographie et à la musique notamment Satie et Debussy. Elle profite de ce renouveau artistique de la Belle Epoque, soit dit en passant qui n’est belle que pour une certaine classe sociale dont elle fait partie. Elle écrit quelques poèmes, se sent artiste mais cherche son médium… Elle est très proche de son oncle Raymond Saisset-Schneider, socialiste convaincu l’ayant présenté à de nombreux intellectuels aux idées progressistes comme Albert Dulac qu’elle rencontrera lors d’un concert en 1904, il est agronome ancien élève de l’ École nationale supérieure d’agronomie de Grignon, aussi socialiste et futur écrivain. Elle l’épouse à Paris le l5 avril 1905.
Cette union sera annoncée dans les carnets mondains comme la revue mensuelle Les Modes.. Elle-même gagnée par les idées socialistes et féministe convaincue, elle rédigea de 1906 à 1913 divers articles culturels comme des critiques de pièces de théâtre mais aussi des portraits de grandes écrivaines pour les journaux féministes La Française et La Fronde. Elle y défend le droit de vote des femmes, et elle donne de nombreuses conférences sur le même sujet au sein de l’Alliance française. Elle participe en 1907 à la Marche des femmes pour la paix tout en composant des pièces de théâtre comme L’Emprise toujours en 1907, pièce sur les aspirations émancipatrices d’une femme mariée à un homme conservateur. Son époux et elle prennent en 1908 la direction d’une revue sur le théâtre la Rampe. Elle joue dans la pièce En famille de Louis Verneuil ; la critique écrit qu’elle est une comédienne de talent. Toujours en 1907, elle rencontre la danseuse étoile et actrice de films muets Stasia Napierkowska avec qui elle entretient une relation amoureuse ; elle commence à fréquenter le milieu du cinéma. Ainsi en 1914, elle est bouleversée à la vision de la scène de la bataille de Waterloo du Napoléon de Gance !
Elle continue toutefois le journalisme jusqu’à un reportage en Italie réalisé pour rejoindre Stasia actrice pour un feuilleton. Là elle étudie le cinéma italien alors de qualité ; et avec ses économies et celles de deux de ses amies, elle réalise à son retour en France Les Sœurs ennemies en 1915. Certaines mauvaises langues signalent qu’elle put finaliser ce projet car son mari était parti au front, et qu’il s’en trouva fort courroucé de voir sa fortune dilapidée ainsi !
Comme beaucoup de femmes, la guerre lui permet d’accomplir des métiers masculins, les hommes étant partis au front. En 1916, elle fonde avec l’écrivaine Irène Hillel-Erlanger son nouvel amour affirment certains, une maison de production : la DH Films. Irène née Irène Hillel-Manoach issue d’une grande famille de banquiers juifs, divorcée du défunt Camille Erlanger grand compositeur de l’époque, était connue sous le nom de plume de Claude Lorrey pour ses poèmes et surtout son ouvrage hermétique Voyages en kaléidoscope. Irène tient un salon où se retrouvent les jeunes surréalistes et dadaïstes comme Louis Aragon, Paul Valéry, Anna de Noailles, Saint-John Perse, Jean Cocteau et Tristan Tzara. Jusqu’à son décès en 1922, elle sera la scénariste de quatre films de Germaine dont Venus Victrix avec une Stacia Napierkowska, à l’orientalisme torride inspirée par Ida Rubinstein, ce film est hélas disparu. En 1919, Germaine Dulac, avec l’aide de son époux est parmi les premiers réalisateurs étrangers à avoir sa propre société de distribution à New-York et, lors d’un voyage aux USA, elle rencontrera le célèbre producteur D W Griffith. Elle distribue aussi quelques-uns de ses films en Angleterre. C’est sur le tournage d’un œuvre feuilletonesque Âmes de fous avec Ève Francis son actrice (qui fut un temps égérie de Claudel) que Germaine Dulac rencontre le fiancé de cette dernière : Louis Delluc célèbre écrivain, critique, et metteur en scène. Une forte amitié naîtra, Albert Dulac (noté dans l’acte attaché au ministère du Commerce et cinématographie d’avant-garde) sera le témoin au mariage d’Ève avec ce dernier en janvier 1918.
De cette rencontre naît une collaboration cinématographique d’après un scénario de Delluc, et ayant comme interprète Ève Francis en 1920 La Fête espagnole, première film d’avant-garde cinématographique. Sur un sujet banal de triangle amoureux, Germaine pose son style : “Lumière, pose d’appareil, importance du montage m’apparurent comme des éléments plus capitaux que le travail d’une scène uniquement jouée selon les lois dramatiques”.
Succès critique mais comme le public ne suit pas, le producteur Louis Nalpas demande à Germaine Dulac de réaliser quelques films plus accessibles, ce qu’elle fait avec beaucoup de succès. Avec Louis Delluc, elle est aussi à l’initiative des premiers ciné-clubs. Pour elle le cinéma est le septième art, celui du mouvement, elle dit : “je crois qu’une Bibliothèque du film s’impose, tant pour la documentation historique de l’avenir, que pour garder intacts la pensée et l’effort des premiers cinéastes. Le cinéma est un art qui naît évidemment qui n’a aucun contact avec les autres arts, et à qui l’on doit de garder à l’état documentaire toutes les étapes précédant l’épanouissement total. Je ne crois pas que le cinéma soit le seul livre de demain, le cinéma est autre, il a un ses personnel, une musique visuelle, plus qu’un document. Les musiciens ont leur bibliothèque. Les cinémas doivent avoir la leur.” Elle divorce d’avec son époux en 1922 ; il se remarie en 1929 avec Germaine Antoinette Vasticar, illustratrice. Elle entretient une longue liaison avec Marie-Anne Françoise Maleville, née Mareau, son assistante jusqu’au remariage de cette dernière en juin 1933 avec Georges Julien Victor Colson ingénieur des ponts et chaussées. Dans les années cinquante Marie Anne Maleville-Colson devient une réalisatrice reconnue de documentaires.
Elle réalise son chef-d’œuvre pour certains avec La Souriante Madame Beudet en 1923, critique féministe de la vie conjugale petite-bourgeoise étouffant la femme. Pour décrire subtilement la psychologie de l’héroïne, elle emploie toues les ressources de techniques comme les ralentis, les surimpressions… et même la déformation, on appellera cela de l’impressionnisme cinématographique.
On a pu observer à partir de là et pendant de longues décennies le poids du patriarcat sur la réécriture de l’histoire du cinéma en lui attribuant un rôle mineur ou en l’omettant régulièrement. De plus, dans nombre de dictionnaires biographiques sur le cinéma cette féministe convaincu ne fut longtemps définie que par rapport aux hommes, que ce soit par son milieu de naissances (militaires, politiciens ou industriels), par son mariage (elle n’est connue que par le nom de son ancien époux et même au début sous Germaine-Albert Dulac), et là où le bât blesse le plus, de par ses soi-disant mentors comme Delluc, Artaud… Elle ne serait ainsi qu’une suiveuse que l’on cite en anecdote ! En fait, libérée des emprises paternelles maritale, elle avait profité de l’essor culturel de la Belle Époque pour apprendre et celui des Années Folles pour être acceptée comme une des meilleures dans le cinéma d’Avant-garde. En cette période d’Entre-deux-guerres, cette féministe et socialiste convaincue avait pu aussi vivre de manière assumée son lesbianisme et imposer une nouveau regard sur les femmes.
Pour aller plus loin : Fond Germaine Dulac:
Articles d’époque :
– Cinéa du 15 mai 1924 – la Femme de France du 1er août 1926 – Marianne du 8 février 1933 (Retronews)
Biographie en anglais : Germaine Dulac: A Cinema of sensations, 2014 de Tami Williams.