Portrait de Charles d'Autichamp
Art,  Guerres de Vendée,  XVIIIe Siècle

Portrait du général Vendéen Charles d’Autichamp et de son frère ?

En effectuant des recherches de crédits iconographiques concernant le général Vendéen Charles de Beaumont d’Autichamp, une surprise nous attendait. En effet, en consultant Google image, un portrait attira notre regard.
portrait de Charles d'Autichamp
Portrait présumé des frères d’Autichamp, huile sur toile de Joseph Boze, vers 1782, musée des Beaux-Arts de Boston. (source Wikipedia)
 
Ce tableau ovale représente fort habilement deux jeunes garçons ; l’aîné porte un uniforme rouge garni d’un liseré argenté, aux boutons et à l’unique épaulette de la même couleur. Un gilet blanc laisse entrevoir une chemise de la même couleur. Notons le dernier bouton de son uniforme qui est fort curieux. Il tient dans sa main droite un stylet doré et dans la gauche une feuille où semble être représenté un plan de bâtiment. Le plus jeune habillé d’une chemise blanche semblant être de soie et un gilet d’un jaune doré penche délicatement sa tête sur l’épaule du plus âgé tout en serrant le bras de ce dernier de sa main droite, la gauche tenant une raquette de jeu de Paume. Tous ces éléments laissent supposer qu’ils appartiennent à la noblesse d’Ancien Régime.
Ce qui a attiré notre attention est la légende. Il y est en effet indiqué portrait présumé des frères d’Autichamp…  Ce portrait illustre ainsi la fiche biographique du général Vendéen sur Wikipédia. Grâce à la fonction Google Lens, il fut facile d’obtenir plus de renseignements. Cette représentation est reprise sur quelques sites notamment Pinterest, un site généalogiques Man8rove et Useum.org.
Mais c’est surtout sur Wikipédia que nous trouvons les informations les plus utiles. Cette page précise que c’est une huile sur toile de 24 sur 58.4cm attribuée à Joseph Boze et appartenant à la collection Forsyth Wickes du musée des beaux-arts de Boston.
Sur le site Internet du musée, plus de détails sont donnés, dont le fait que ce portrait fut d’abord attribué à Greuze avant Boze. Notons toutefois, lorsque Joseph Boze eut droit en 2004 à une exposition à Martigues sa ville natale, un référencement de ses œuvres fut effectué, et le « cadet et son jeune frère » n’y fut pas intégré, car considéré comme trop peu caractéristique de l’artiste.
Le musée précise aussi la provenance de cette œuvre. Elle fut proposée lors d’une vente aux enchère des tableaux et meubles d’un château du blésois (région de Blois), à l’hôtel des ventes d’Orléans le 29 juillet 1930. Puis elle fut à nouveau vendue, probablement en cette même année 1930, par le marchand d’art Cailleux à Forsyth Wickes. Suite à la mort de ce collectionneur américain, le tableau ainsi que de nombreuses œuvres de l’école française du XVIIIe qui constituaient sa collection furent légués au musée de Boston le 8 janvier 1969.
La source donnée concernant la vente du portrait nous intéressant est la revue des Beaux-Arts d’août 1930 qui indique que le tableau fut vendu pour 146 000 francs avec l’indication « portrait d’un cadet et son jeune frère par Greuze. »
Dans le catalogue de Jeffrey H. Munger référençant la collection de Forsyth Wickes et datant de 1991, il est indiqué :
« […] The Boze painting has always been identified as the Autichamp brothers […] ».
L’envie de mener l’enquête étant là, nous partîmes à la chasse aux renseignements. Grâce à Retronews, mention de cette vente est retrouvée dans le numéro des Beaux-arts cité et plusieurs autres journaux de l’époque. Nous y apprenons, de plus, que cette vente eut lieu le 22 juillet 1930 sous le marteau de Maître Farault commissaire priseur à Orléans ; et que ce portrait d’un cadet et de son jeune frère, qui fut attribué à Greuze par l’expert parisien Gaston Denis, et était le point d’orgue de cette vente. Il fut acquis par un amateur de la région d’Orléans.
Le Journal des arts du 19 juillet 1930 (Retronews)
 
 
Le Figaro du 18 juillet 1930 (Retronews
 
Le Paris Soir du 5 août (Gallica) indique quant à lui :
« A Orléans, c’est devant une très nombreuse assistance — il y avait pas mal de Parisiens — que Me Farault, avec le concours d’un expert de Paris, a dispersé un ensemble d’art et d’ameublement. Il est inutile d’ajouter que tout s’y est vendu à des prix plus que satisfaisants.
La pièce principale, un tableau attribué à Greuze, Portrait d’un cadet et de son jeune frère, fut adjugée : 146.000 fr. prix qui donne à réfléchir. Nous nous demandons, en effet, à combien serait monté ce tableau s’il avait été franchement étiqueté « Greuze ». Peut-être, aussi, aurait-il fait moins cher !
Quoi qu’il en soit, pour le pousser à ce prix-là, il fallait que les enchérisseurs fussent rudement sûrs d’eux, plus sûrs sans doute, que l’expert – et c’est une chose qui arrive parfois, même à l’Hôtel Drouot ! D’autre part, si les Greuze de facture indiscutable ne courent pas les rues, par contre, ceux de son école, ou ceux qu’on lui attribue, sont assez nombreux. Souhaitons à l’acheteur, un grand amateur de la région, que, devant ce portrait, il ait eu ce petit serrement de cœur qui ne trompe jamais et que ressentent tous les vrais connaisseurs en présence d’un authentique chef-d’œuvre. Il vaut souvent mieux acheter une toile par goût que pour la signature. »
 
Aucune mention jusque là de la famille d’Autichamp, la seule éventuelle piste est une précision indiquée notamment dans le Figaro artistique et illustré de juillet/août 1930. Cette revue reproduit ce portrait et indique
« cette exquise toile provenant d’un château du blésois sera mise en vente le 23 juillet prochain à l’hôtel des Ventes à Orléans par le ministère de Me Faraut, commissaire priseur à Orléans assisté de M Gaston Dernis, expert en tableau à Paris. Cette vente, qui a lieu pour cause d’indivision comportent indépendamment de cette œuvre remarquable un ensemble comportant de tableaux anciens et modernes ».
Ainsi la vente fait suite à une succession…
Figaro artistique et illustré de juillet/août 1930.
Figaro artistique et illustré de juillet/août 1930.
 
 
Aucune indication donc de l’identité des modèles. Comment pouvons-nous être certains que l’un des jeunes garçons représenté est bien Charles de Beaumont d’Autichamp, futur général Vendéen ?
Dans le catalogue de la collection préalablement cité, l’auteur, après avoir annoncé que les modèles ayant toujours été connus comme étant les frères d’Autichamp, émet un postulat qui s’avère incorrect
« If so the elder boy must be Charles de Beaumont later Comte d’Autichamp who was born in 1770 and early entered into military service ?  »
(Si tel est le cas, le garçon aîné doit être Charles de Beaumont, plus tard comte d’Autichamp, né en 1770 et entré tôt dans le service militaire ?)
En effet une incohérence est vite détectée. Et pour cela un peu de généalogie de la famille Beaumont d’Autichamp est nécessaire.
Louis Joseph décédé lors de la bataille de Lawfeld en 1747 eut trois fils : L’aîné Jean Thérèse Louis Marquis d’Autichamp plus royaliste que le roi pourrait-t-on dire qui fut dès 1789, un des plus grands ennemis de la Révolution. Le frère cadet, abbé décéda guillotiné en juillet 1794 quelques jour avant la chute de Robespierre. Le benjamin est le comte d’Autichamp. Il eut avec Agathe Jacquine Greffin de Bellevue originaire de Saint-Domingue trois fils. L’ainé Marie Louis Joseph fut à partir du 1er mars 1781, cadet gentilhomme au régiment d’ Agénois puis, le 1er décembre sous-lieutenant dans le même régiment. Il accompagna son père pour combattre en Amérique, se distingua à la bataille de Saint-Christophe et, présent sur le navire le Pluton, décéda le 12 avril 1782 d’un tir de boulet de canon lors de la bataille des Saintes (Guilhem de Mauraige, le régiment d’Agenois au cœur des Révolutions Transatlantiques (1778-1830), Carnet de la Sabretache , hors-série 2020 vol. 2 fiches 8 et 9)
Le second fils, Marie Jean Jacques Joseph, né en 1767, devenu vicomte de Beaumont d’Autichamp à la mort de son frère aîné, était major de cavalerie lorsque débuta la Révolution, et s’était marié en juin 1783.
Charles, né le 8 août 1770, était le dernier de trois frères. Et sa vie changea radicalement à la mort de l’ainé en 1782. En effet, après modification de son acte de naissance le faisant vieillir de quelques mois afin qu’il puisse avoir l’âge minimum requis, il entra comme Cadet dans la gendarmerie à Lunéville, gendarmerie alors commandé par son oncle par intérim depuis octobre 1780.
Notons que dans le règlement des uniformes, les cadets se doivent de ne porter qu’une épaulette dorée ou argentée sur leur uniforme, celui-ci devant être de la même couleur que celui du régiment auquel ils sont intégrés. Celui de la gendarmerie était un des rares de couleur rouge dans l’armée française.
Uniformes de la cavalerie françoise et étrangère, Dragons et Hussards suivant les derniers règlements. 1783 : [estampe] Éditeur  : A Paris chez Mondhare rue S.t Jacques. [1783] Date d’édition : 1783 détails (Gallica)
 
Le soucis concernant le tableau, c’est qu’à notre connaissance jusqu’ici Charles était le seul de la fratrie à être entré dans ce régiment.
En continuant nos recherches, nous découvrons qu’en illustration d’un article sur Tonnelet, compagnon de Stofflet dans la revue spécialisée sur les guerres de Vendée Savoir de mars 2018, ce tableau est représenté avec comme légende :
 » ‘les enfants d’Autichamp’ A droite Marie Louis Joseph Jacques d’Autichamp. Né en 1766, il fut tué auprès de son père à la bataille de Saint-Christophe (Antilles), les 25 et 26 janvier 1782. Pour une action d’éclat peu avant sa mort, il avait reçu la décoration de Saint-Louis. Cependant, il peut y avoir une erreur sur l’identité de ce jeune officier. En effet, il semble qu’il porte l’uniforme de la gendarmerie lorraine. Or, seuls ont servi dans ce régiment Charles (1770-1859), le plus jeune des fils, ici à gauche, et Marie Jean Joseph Jacques (1767-1828). N’est-ce pas lui qui figure à droite du jeune Charles, le futur général vendéen ? (inédit – coll. particulière) ».
 
Et effectivement après recherches plus approfondies, nous découvrons dans un article du Pays Lorrain de juin 1938 que Marie Jean Jacques Beaumont d’Autichamp
« débute dans la compagnie de gendarmerie anglais. Passe mestre de camp dans un régiment d’infanterie. Capitaine réformé au régiment de Noailles dragons, le 30 janvier 1785 ». (Pierre Boyé, Le Chancelier Chaumont de La Galaizière et sa famille (suite et fin), note3-p 499 Gallica )
 
Donc nous pouvons déduire que si le postulat concernant le fait que dans ce portrait Charles d’Autichamp est représenté, il est le plus jeune, non encore militaire, et que le cadet est Marie Jean Jacques. Il est possible alors de presque dater le tableau d’avant 1782, date d’intégration de Charles aux Cadets, période où l’aîné était certainement déjà parti avec son père outre-Atlantique.
Si on part sur cette hypothèse, est-il possible qu’un tableau de cette famille se trouvait dans un château de la région de Blois et qu’il ait été vendu lors d’une succession en 1930 ?
 
Si l’on se penche une nouvelle fois sur la généalogie de cette famille, il y a plusieurs possibilités.
Dans le Loir-et-Cher se trouve le château d’Autroche situé sur la commune de Saint-Viâtre (mais souvent indiqué sur celle de la Ferté-Beauharnais, les deux communes ayant été dans l’arrondissement de Blois). Charlotte de Loynes d’Autroche épousa le général Vendéen Constant de Suzannet ; et leur fille Marie Gabrielle Félicité se lia par le mariage avec Achille de Beaumont d’Autichamp, fils du général Vendéen Charles d’Autichamp. Cette dernière décéda au château d’Autroche en novembre 1891 (Il y eut des tensions lors de sa succession, voir Jurisprudence générale du royaume en matière civile, commerciale et criminelle par Dalloz, 1898).
Noémie, une des deux filles née du mariage Suzannet/D’Autichamp, épousa Henri de Cumont ; et les deux décédèrent également au château d’Autroche , lui en 1912 et elle en 1913. Sa sœur Marie Charlotte Clémentine épousa Alexandre d’Estienne d’Orves et donna naissance en ce château le 24 septembre 1867 à Joseph d’Estienne d’Orves (père du célèbre résistant). Joseph décéda en 1926 rejoignant son épouse morte en 1921.
En 1930 le château était en la possession du baron de Toulgoet-Tréanna n’ayant aucun lien familial avec les d’Autichamp.
 
Est-ce donc de ce château que proviennent les œuvres et objets vendus en cet été 1930 ? C’est sur cette question que nous clôturons (provisoirement ?) cet article. Ce portrait d’un cadet et de son jeune frère reste encore bien mystérieux.

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