Alice Augusta Ball, la scientifique issue d’une grande famille de photographes
Je vais vous parler d’une famille Afro-Américaine au destin hors norme, la famille Ball. En suivant son histoire, on suit aussi une grande partie de celle des Etats-Unis. Alice Augusta Ball la dernière figure connue de cette famille fut une jeune chimiste récemment sortie de l’oubli pour devenir un symbole féministe. Lorsque l’on recherche un portrait d’elle, on trouve toujours la même photographie aux teintes passées par le temps représentant une jolie jeune femme diplômée avec sa toge et sa coiffe et au sourire timide. On est loin de s’imaginer la destinée qu’elle eut.
Née le 24 juillet 1892 à Seattle d’une famille de la middle-classe noire. Elle vécut quelques années de son enfance à Hawaï lorsque sa famille partit afin que le grand-père célèbre photographe puisse soigner son arthrite. Elle suivit sa scolarité au « Central Grammar school » d’Honolulu de 1902 à 1904, année de départ de la famille de l’île suite au décès du grand-père. C’est le retour familial sur Seattle après trois ans à Hawaï. Elle fréquenta alors la « Broadway High School » de Seattle de février 1906 à 1909, où elle était membre du club de sciences et d’art dramatique. En page 42 de l’annuaire, on aperçoit un joli portrait d’elle avec cette devise : « Je travaille et travaille, et il semble toujours que je n’ai rien fait », devise qu’elle dut garder durant sa brève vie.
Alice Augusta Ball en 1912 (annuaire de l’Université de Washington)
Elle a obtenu de l’Université de Washington un diplôme en chimie pharmaceutique en 1912 et un autre en pharmacie en 1914. En collaboration avec son tuteur en pharmacie, William M. Denn, elle a co-écrit un article dans le Journal of the American Chemical. Society, « Benzoylations in Ether Solution« , publiée en 1914. De par son extraordinaire intelligence, elle eut le choix entre deux bourses d’étude, celle de l’Université de Californie à Berkeley et celle du Collège d’Hawaï (maintenant l’Université d’Hawaï). Il faut imaginer au début du vingtième siècle, une femme de plus noire pouvant accéder à un tel niveau d’étude ! Elle choisit l’université d’Hawaï, certainement de par sa connaissance d’Honolulu, mais aussi de par le métissage culturel de cet ensemble d’îles. Elle voyagea en seconde classe en prenant le bateau à vapeur le Makura, qui allait de Vancouver en Australie en faisant étape par Honolulu. Et elle s’installa dans une pension pour femmes comme on le devait à l’époque, le MacDonalds rue Puna hou.
Le 1er juin 1915, elle obtint un master en chimie de l’Université d’Hawaï, devenant ainsi la première femme et donc la première Afro-Américaine à en obtenir un. C’était la quatrième promotion de l’Université. Sa thèse portait sur l’identification des composants actifs de la racine de kava ou Ava et se dénommait « Les constituants chimiques de Piper Methysticum; ou Les constituants chimiques du principe actif de la racine d’Ava » elle essayait d’y extraire les ingrédients actifs. Ses professeurs de chimie furent tellement impressionnés, qu’après l’obtention de son diplôme en juin 1915, elle fut chargée d’enseigner la chimie à l’Université. Au dire de tous, elle a été la première femme à enseigner une matière scientifique à l’Université d’Hawaï.
Alice Ball diplômée en Master et deux bacheliers
Pour mieux comprendre la suite de sa carrière, je me dois de vous faire un aparté sur la lèpre, cette terrible maladie était en résurgence, à cette époque, dans les îles de l’archipel d’Hawaii. A l’ouest d’Honolulu, il y avait l’hôpital de Kalihi un des rares spécialisés sur la maladie de Hansen autre nom de la lèpre. Cette terrible maladie infamante pour le malade et sa famille entière à l’époque faisait que les malades diagnostiqués comme lépreux devaient y séjourner obligatoirement des semaines, voire des années jusqu’à ce que le degré de maladie soit trop important. Et ensuite, ils étaient envoyés mourir dans un village lazaret créé en 1866 à Kalaupapa, à l’extrême nord de l’ île rocheuse de Moloka’i. 8 000 personnes y furent déportées et isolées jusqu’en 1969. Dans « la Croisière du Snark« , Jack London a décrit ce lieu comme étant « la fosse de l’enfer, le lieu le plus maudit au monde ». La bactérie responsable de cette terrible maladie de peau fut découverte en 1873. Afin de soulager et de limiter les inflammations dues à cette maladie, l’huile de chaulmoogra issue des graines d’un arbre tropical originaire d’Inde était utilisée en étant appliquée localement ou administrée par voie orale mais elle était terriblement amère et provoquait des nausées. De plus, le traitement était insuffisamment efficace.
Harry T Hollmann chirurgien assistant à l’hôpital Kalihi, ayant eu connaissance du sujet de la thèse d’Alice, souhaita obtenir son aide et lui demanda qu’elle étudie également l’huile de chaulmoogra, Elle travailla durement le soir après ses cours, et réussit en moins d’un an à isoler l’ester éthylique de l’huile de chaulmoogra et à créer une solution hydrosoluble des composants actifs. Cette solution une fois injectée s’est avérée extrêmement efficace contre les symptômes de la lèpre, avec de plus peu d’effets secondaires. « La découverte qu’a faite Alice Ball fut bénéfique pour soulager la douleur endurée par les patients« , a déclaré James P. Harnisch, qui exerce au sein de l’Hansen’s Disease Clinic de l’Harborview Medical Center, situé à Seattle dans l’état de Washington, et spécialiste des maladies. « Son travail et les avancées qu’elle a faite dans ce domaine sont encore plus remarquables lorsque l’on est une femme noire à cette époque » .
Mais Alice n’a pas eu le temps de publier sa recherche. La Première Guerre éclata, et en mars 1916, alors qu’elle faisait une démonstration devant sa classe, Alice inhala du chlore gazeux ou chlorine utilisé durant cette guerre comme cela est indiqué dans un article du journal Honolulu Pacific Commercial Advertiser de 1917, Il faut noter qu’à l’époque, les hottes de ventilation dans les laboratoires n’étaient pas obligatoires. Elle retourna à Seattle pour se faire soigner en reprenant le 7 avril 1916 le Makura comme le signale le Seattle Daily Times :
Mercredi soir, 12 avril 1916 Page 15, colonne 4 Société Mlle Alice A. Ball rend visite à ses parents, M. et Mme J.P. Ball, au 2401 East Union Street, et compte rester en ville jusqu’à ce qu’elle se remette d’une grave crise de bronchite. Mlle Ball prévoit de retourner à Honolulu vers le mois d’août pour reprendre ses fonctions d’enseignante en chimie au Collège d’Hawaii. Seattle Daily Times vendredi soir, 25 août 1916 Page 14, colonne 4 Société Mlle Alice A. Ball retournera à Honolulu le 30 août pour reprendre ses fonctions d’enseignante en chimie au Collège d’Hawaii. Au cours des derniers mois, Mlle Ball a rendu visite à ses parents, M. et Mme J.P. Ball, au 2401 East Union Street. Elle repartit donc à l’automne à Hawaï pour y reprendre ses cours, cependant, les effets secondaires étaient si graves qu’elle dut retourner à Seattle en octobre où, le 31 décembre 1916, Alice décède à l’âge de 24 ans.
The Bellingham Herald, Bellingham, Washington Lundi 1er janvier 1917
Décès d’un professeur d’université à Seattle, le 1 er janvier. Mlle Alice A. Ball, enseignante en chimie au Collège d’Hawaï, âgée de 25 ans, est décédée hier chez ses parents, dans cette ville, des suites d’une blessure causée par l’inhalation de chlore gazeux lors d’une démonstration dans sa classe à Honolulu en mars dernier. Elle était en congé du collège Le Seattle Daily Times Lundi soir, 1er janvier 1917
Ballon. À la résidence familiale du 2401 East Union Street est décédé, le 31 décembre 1916, Mlle Alice A. Ball, âgée de 24 ans, fille bien-aimée de M. et Mme James P. Ball et sueur de Robert P., William T.C. et Adelaïde G. Ball. Les funérailles auront lieu dans les salons de la société Bonney-Watson, Broadway, Olive Streets, en face de l’école secondaire de Broadway, le mardi après-midi à 3 heures. Les amis sont invités à y assister. Incinération. Alice A. Ball Washington State Board of Health, Record No. 2586 – Certificate of Death Place of Death: Seattle, King Co. – 2401 East Union St. Female, White, Single — Born: July 23, 1892 – 24y 5m 8d | Occupation: At home Born at Seattle Washington | Father: James P. Ball. Born Ohio; Mother: Laura L. Howard. Born Ohio Date of Death: Dec. 31, 1916 — I hereby certify, That I attended deceased from Oct. 31, 1916 to Dec. 31, 1916 that I last saw her alive on Dec. 31, 1916 and that death occurred on the date above at 5 am The cause of death was as follows: Removal of tonsils excessive 2 years ago, inhalation of chlorine gas two years ago. Contributory: Chronic Asthma for 2 yrs. Signed: Frank Brooks Jan. 1, 1917 Arcade Bldg. Where was disease contracted if not at place of death: Honolulu Le 1er janvier 1917, dans son journal nécrologique Honolulu Star-Bulletin, les étudiants et les professeurs se souvenaient d’elle comme « serviable, joviale, patiente, mais optimiste ».
Son certificat de décès original a été modifié ultérieurement semble-t-il pour indiquer la cause de son décès comme tuberculose. Un article du 17 janvier de l’Honolulu Star-Bulletin indiqua que les autorités universitaires niaient les causes accidentelles du décès.
Arthur L Dean président de l’Université d’HawaÏ, chimiste, ancien tuteur d’Alice lorsqu’elle poursuivait ses études supérieures était le plus apte à poursuivre ses recherches innovantes. Il entreprit des essais supplémentaires, perfectionna la solution et alors qu’il était doyen les publia en 1920 sans la créditer. Un laboratoire de chimie de la faculté d’Hawaï commença à produire de grandes quantités de la nouvelle injection, d’autant plus qu’il recevait des demandes de préparation de l’huile de chaulmoogra du monde entier. En 1918, un article d’un journal médical indique qu’ à la suite d’injections développées à partir de l’huile, l’hôpital de Kalahi libéra 78 patients atteint de lèpre, et de 1919 et 1923 aucun patient fut envoyé à Kalaupapa Jusqu’à l’apparition des sulfones dans les années 40, c’était le traitement le plus fiable pour contrôler la maladie, mais sans le stopper complètement car soyons honnête, la solution ne bloquait que temporairement la maladie. En 1921, un interview non signé d’Arthur L. Dean du Paradise of the Pacific sur le chaulmoogra contient une curieuse légende sous sa photo. Alors que Dean insiste sur le fait qu’il ne doit pas recevoir plus de crédits pour le développement du traitement à l’huile de chaulmoogra que ses collaborateurs et ceux qui l’ont précédé sur le terrain, la légende est d’un tout autre ordre : » le public dira qu’il est l’homme ». Les trois pages de l’article mentionnent Harry T Hollmann ainsi que d’autres de ses collègues mais Alice n’est pas citée ! En effet, dès 1920, le processus chaulmoogra était déjà qualifié dans les revues professionnelles en tant que dérivé de Dean ou méthode de Dean et non plus méthode de Ball. Sur la page de couverture du journal étudiant de l’Université d’Hawaï annonçant la démission en tant que président de l’Université d’Arthur L Dean en 1927, un bref article rapportait que la solution était d’abord créée par le docteur Hollmann et Alice Ball et que le solution avancée avait été découverte et préparée par Dean. A la différence du professeur Dean, le docteur Hollmann reconnaissait la contribution substantielle de Ball au développement de l’huile injectable de chaulmoogra. Dès 1922 Harry T Hollmann écrivit dans une revue médicale que la découverte avait été celle d’Alice et s’appelait la méthode Ball. Et selon un article également publié en 1927 sous le titre « Méthode de Ball pour la fabrication d’esters éthyliques des acides gras de l’huile de chaulmoogra« . Hollmann suggère que lorsqu’on compare les deux méthodes, on remarque que Dean n’a pas spécifiquement mis au point de méthode améliorée. « je ne vois aucune amélioration avec la méthode Dean, quelle que soit la technique originale mise au point par Miss Ball« . Hollmann pensait que la méthode de Ball était plus simple et par conséquent supérieure et qu’elle avait permis aux médecins de préparer eux-mêmes leur propre chaulmoogra injectable sans l’équipement coûteux et compliqué requis par la méthode du doyen. L’article de Holmann ne sauva pas instantanément la jeune scientifique de l’oubli et ne lui donna pas immédiatement le crédit qu’elle méritait pour le travail remarquable qu’elle avait accompli.
Pourquoi Dean lui avait-il volé le mérite de ses recherches ? Plusieurs hypothèses : Il était doyen et directeur d’Université, elle n’avait été qu’une professeure de sciences. Il avait un doctorat en physique, elle un « simple » master en science. Il avait déjà publié de nombreuses recherches, elle que sa thèse. Il était un homme d’âge moyen, elle était jeune. Il était blanc, elle était noire et de plus, plus de ce monde pour défendre ses recherches ! Donc Alice reste inconnue jusqu’en 1977, année où Kathryn Waddell Takara découvre son nom dans les archives de l’Université, et que les recherches de Stanley Ali et d’autres chercheurs de l’Université d’ Hawaï mais aussi d’érudits lui donnent enfin la place qu’elle n’aurait pas dû quitter. Le 29 février 2000, l’Université d’ Hawaï a érigé derrière le Bachman Hall une plaque de bronze répertoriant les réalisations de Ball sur l’arbre de chaulmoogra où elle a extrait l’huile. En 2007, elle a reçu à titre posthume la médaille d’ honneur du conseil d’administration de l’Université et la lieutenant-gouverneur devenue depuis sénatrice Mazie Hirono a déclaré le 29 février comme la « journée Alice Ball« . En 2016, l’Hawaï Magazine l’a reconnue comme l’une des femmes les plus influentes d’Hawaï. Une bourse Alice Augusta Ball a été créée et est destinée aux étudiants en chimie, biochimie, biologie ou microbiologie du campus de Manoa de l’Université d’Hawaï qui « partagent des caractéristiques similaires à celles dont a fait preuve Alice Ball au cours de ses études et de sa recherche ». Son parcours exceptionnel interpelle, et sa réussite à casser le double plafond de verre de par son sexe et la couleur de sa peau donne envie de mieux comprendre. Un début de réponse est dans l’introduction d’un article la concernant de Paul Wermeger dans l’ouvrage « They Followed the Trade Winds: African Americans in Hawaï » : » le 24 juillet 1892 à Seattle, Washington, Alice Augusta Ball est née de James P Ball et de son épouse Laura. Bien que les deux parents de son certificat de naissance soient indiqués blancs, d’autres sources, notamment des photographies de ses grands-parents, ont indiqué que sa famille était bien noire. Les parents au teint clair ont peut-être considéré ce mensonge « blanc » comme un cadeau parental qui pourrait aider leur fille aînée à surmonter certains préjugés auxquels elle serait inévitablement et malheureusement confrontée à l’avenir. » Au XIXe siècle aux Usa, « devenir blanc » était assez fréquent chez les populations dites de couleur, et donc sa famille à un moment a opté pour le « white passing », c’est-à-dire quitter son groupe ethnique dit de métis (mulâtre) pour devenir blanc et profiter du « privilège blanc ». Cela à une époque de ségrégation raciale aux USA et où la notion ségrégationniste d’une « seule goutte de sang noir » discriminait la personne en tant que noire même si elle avait un seul ancêtre noir et limitait ainsi sa progression sociale. « Passer pour blanc » permettait aux Afro-Américains de fréquenter certaines universités, d’exercer des métiers et de fréquenter des hautes sphères que malheureusement en tant que noir ils n’auraient pas pu. Mais pour cela, ils devaient couper tout lien avec le reste de leur famille resté Afro-Américaine sous peine d’être démasqués.
Concernant le recensement aux Usa :
En 1790, le premier recensement fédéral de la population a classé les résidents libres comme Blancs ou Noir, cette dernière catégorie se sous-divisait en « libre » ou « esclaves », et jusqu’en 1850 seuls les chefs de famille étaient identifiés par leur nom.
Dans les recensements de 1850 à 1870, de 1890, de 1910 et de 1920 et les suivants :
les personnes d’ascendance africaine ont été classées par apparence dont celle dite de mulâtre (qui reconnaissait l’ascendance européenne visible en plus de l’origine africaine).
Les esclaves ont été comptés séparément des personnes libres dans tous les recensements jusqu’à la Guerre Civile. )
Etudier la généalogie de sa famille s’impose pour mieux la comprendre :
Ses arrière-grands-parents sont William Ball né vers 1785 en Virginie et Susan Gregory née vers 1793 dans le Maryland, noirs libres ils se sont mariés dans le comté de Frederick en Virginie le 14 novembre 1814, ils eurent quatre enfants connus :
- Robert G Ball né vers 1815, un temps photographe avec ses frères.
- James Presley Ball né vers 1825, grand-père d’Alice.
- Thomas C Ball né vers 1828 devenu photographe grâce à son frère James Presley, et cela après avoir suivi un enseignement dans une école privée. Lors du recensement de Cincinnati de 1860, il vit avec ses parents et noté comme né dans l’Ohio. Il serait mort en 1875.
Elisabeth née le 2 décembre 1836 en Virginie, épouse d’Alexander L Thomas daguerréotypiste. Elle fut un temps réceptionniste du studio de photographie de son époux en Louisiane. Ils déménagèrent à Chicago vers 1909, Alexander S Thomas, y meurt le 26 mars 1910 et elle le 25 novembre 1911, elle est notée comme noire à son décès. Ils eurent :
- une fille Kate T né en 1855 à Cincinnati qui meurt le 24 août 1929 notée w(hite) mais enterrée dans le cimetière des gens de couleur.
- une fille Isabelle.
- un fils Presley Thomas aussi photographe et portraitiste né vers 1856 dans l’Ohio.
C’est par James Presley Ball que l’ascension sociale de la famille s’est faite. En 1846, Il apprit auprès du photographe John B. Bailey à White Sulphur Springs la photographie par daguerréotype (procédé consistant à imprimer des photographies sur des plaques de métal). White Sulphur Springs situé au milieu des Monts Allegheny dans le comté de Greenbrier en Virginie Occidentale est une ville thermale d’été depuis 1778, ayant connu un essor vers 1830 grâce à l’amélioration des route lui permettant la création de résidences secondaires de riches bostoniens pour leur villégiature d’été. Il devint itinérant jusqu’en 1846, année où il s’installa pendant un an à Richmond. A cette période d’avant l’abolition de l’esclavage, toute personne de couleurs vivant de ce comté de Greenbier devait justifier son statut et son identité tous les cinq ans auprès du greffe du tribunal de son lieu de résidence, et donc dans les registres du tribunal du dit comté on trouve en 1847 le certificat de liberté de James Presley.
État de Virginie [comté de] [Frederick]. Rappelons-nous que ce 13 décembre 1847, William Joliffe comparaissant personnellement devant moi de paix pour ce comté a sous serment certifié connaître James Presly Ball, un homme de couleur libre qui a maintenant environ 22 ans et qui est le fils de William et Susan Ball, personnes de couleur, et que ledit James Presly Ball est né libre dans le comté et dans l’État susmentionné. Dicté sous ma main et scellé ce 13 décembre 1847. »
En 1850, son père, sa mère, ainsi qu’un de ses frères, sa sœur et lui-même sont enregistrés comme résidents blancs de Cincinnati, son frère est noté charpentier et lui daguerréotypiste. James Presley épousa Virginia L Burnes en octobre de la même année à Hamilton dans l’Ohio. Pour information, à cette période d’avant la guerre de Sécession, Cincinnati situé dans l’Ohio un état du Nord non esclavagiste de par sa situation géographique était une cité commercialement et économiquement florissante grâce à ses transactions avec le Sud. En réaction à de violentes émeutes pro-esclavagistes en 1841, les militants anti-esclavage avaient forcé l’État à abroger ses lois sur les Noirs en 1849 et à leur offrir une protection juridique et une éducation. En raison de cela, une petite classe moyenne noire émergea, essentiellement des métis venant beaucoup de Virginie Occidentale et souhaitant s’intégrer dans une seule et même nation. Ils purent ainsi devenir employés, commerçants… De plus, par sa richesse culturelle, la ville reçut l’appellation populaire d' » Athènes de l’Ouest ». En 1853, il s’installa dans de vastes salles à Fourth Street et sous le nom de « Grande galerie daguerrienne de l’Ouest » aménagea son atelier comme une galerie d’art avec des peintures, des gravures et des photographies de personnages célèbres et où l’on pouvait y écouter de la musique. Il employa de nombreuses personnes dont ses deux frères, son beau-frère et même son neveu Presley. Il travailla avec le peintre paysagiste Robert S Duncanson qui avait la responsabilité de colorier les daguerréotypes, de peindre des arrière-plans, de retoucher des négatifs et de donner des conseils sur la pose des modèles.
C’était le lieu de prestige de la ville, et la galerie fut mentionnée avec une illustration en première page du magazine bostonien « Gleason’s Pictorial Drawing-Room Companion » du premier avril 1854. Il est dit dans ce magazine que Ball photographie « avec une précision et une douceur d’expression inégalées et que tout étranger distingué venant à Cincinnati se doit d’y aller« . Le désir de Ball de montrer que l’art en Amérique pouvait aussi venir de personnes noires était réalisé. La même année ses daguerréotypes ont été exposés à la foire exposition de l’Ohio et le 23 juin, il a également participé à Exposition annuelle de la mécanique de l’Ohio. En 1855, Duncanson et Ball ont peint un panorama anti-esclavagiste de 600 mètres de long intitulé le « Mammoth Pictorial Tour of the United States Comprising Views of the African Slave Trade« qu’il présentait à travers le pays sur des scènes de théâtre. Avec des effets sonores et lumineux, il faisait défiler des tableaux allant de la capture en Afrique, à la traversée dans les cales d’un navire négrier, puis la vente comme esclave, pour continuer en montrant le travail dans les plantations et la fuite vers le Canada. Lors d’un voyage d’un an en 1856 en Europe où il partit avec sa femme et ses deux enfants James Presley junior et Adelaïde Augusta, il photographia quelques célébrités, comme Charles Dickens, la reine Victoria… (Sur son passeport du 12 avril 1856 où apparaissent aussi sa femme et deux de ses enfants, il est noté comme ayant le teint foncé et le reste de sa famille comme clair). Lors de son année en Europe, une fille Estelle Victoria naît en Angleterre en mai 1857, elle deviendra photographe et meurt célibataire le 2 novembre 1924 à Seattle (sur son acte de décès elle est notée comme blanche.) Un quatrième enfant naît deux ans plus tard Alice dans l’Ohio (selon un recensement de 1870 où sa femme n’est plus notée car très certainement morte).
Alexander Thomas, son beau-frère embauché vers 1852 en tant qu’opérateur devint son associé en novembre 1857 et l’atelier photographique prit le nom « Ball & Thomas« . Lors du recensement de 1860 de Cincinnati, James Presley est noté comme un mulâtre de 34 ans vivant Cincinnati Ward, à Hamilton Ohio avec Virginia Ball 27, Jennie Ball 9 ans, Adelaïde Ball 7 ans, Victoria Ball 3 ans, Alice Ball 8/12. En mai 1860 de la même année, la tragédie frappa son entreprise lorsqu’une tornade détruisit le » Ball and Thomas Photographic Art Gallery, » cela entraina la dissolution de son partenariat avec Alexander Thomas. Toutefois, son frère cadet Thomas C. Ball continua avec Alexander jusqu’en 1874 pour ensuite avoir son propre studio jusqu’en 1877.
The fugitive slave – J. P. Ball Photographic Gallery
A la fin des années 1850 et surtout après que Lincoln eut publié la Proclamation d’Emancipation en 1863 les tensions raciales s’étaient exacerbées dans la ville avec un sentiment pro-esclavagiste provoqué par la peur d’une migration massive d’Afro-Américains venant d’états du Sud. Cette « négrophobie » contre la population noire et libre s’empara de Cincinnati et détruisit cette communauté économique et culturelle . On sait peu de choses concernant James Presley durant la période de la guerre de Sécession, si ce n’est qu’il vivait toujours à Cincinnati. Il prit toutefois de nombreuses photographies de soldats et d’officiers Unionistes. Et il semble être devenu veuf, car lors du recensement de 1870 où il était indiqué comme noir, sa femme n’apparaît pas. En 1871 il perdit sa fortune en raison de » spéculations malheureuses » et ses biens furent liquidés.
En 1871, il quitte Cincinnati d’abord pour Greenville dans le Mississippi, puis pour Minneapolis ville nouvelle et prospère grâce à ses minoteries. Il fut choisi comme photographe officiel pour la célébration du 25e anniversaire de la Proclamation d’Émancipation dans cette ville en 1887. En octobre 1887, après s’être associé son fils James Presley junior sous le nom de « J P Ball & son photographes artistiques », il s’installa dans la Montana à Héléna ville fondée suite à la découverte d’un gisement aurifère. A cette période, c’était la ville au monde ayant la plus forte concentration de millionnaires. Une série de photographies remarquables prise par Ball à Héléna implique William Biggerstaff un Afro-Américain avant, pendant et après sa pendaison en 1896 suite à un condamnation pour meurtre. James Presley rapidement reconnu comme un leader parmi la population Afro-Américaine de la ville s’investit dans la politique du parti Républicain. Il fut nommé en 1894 délégué lors d’une convention sur les droits civiques du parti Républicain du comté de Lewis et Clark. En 1894 il fut aussi président du club Afro-Américain du Montana. Il partit ensuite en 1897 pour Seattle, ville portuaire ayant connu un essor économique grâce à la ruée vers l’or du Klondique. Ball y a ouvert le « Globe Photo Studio« . En 1902, la famille Presley déménagea à Honolulu à Hawaï (annexé au territoire américain en 1898), pensant que le climat aiderait à améliorer la santé du James Presley Senior atteint de polyarthrite. La famille ouvrit un studio de photographie au 491 avenue Nuuanu, studio très certainement tenu par Estelle, elle aussi photographe. Mais il décède à 79 ans à Honolulu le l3 mai 1904, et la famille décide de rentrer sur Seattle où elle s’installa au 2401 East union Streets.
Durant toute sa carrière, Ball photographia des centaines de personnes appartenant aux communautés blanche, noire et chinoise. Dans les années 1880, il était considéré comme le photographes des riches et célèbres comme la mère et la sœur d’Ulysse S Grant et Frederick Douglass, abolitionniste de renom.
James Presley Junior, son fils donc et le père d’Alice, né le 9 octobre 1851 à Cincinnati fut donc un temps photographe avec son père. Il eut un fils :
- Robert P Ball né le 22 octobre 1885 à St Paul dans le Minnesota (selon son passeport daté de 1919 pour aller en République du Panama) qui devint secrétaire particulier d’une Compagnie de Chemins de fer. Domicilié à Pittsburg il épousera à San José au Costa Rica le 15 septembre 1919 María del Rosario Calvo Navarro .
James Presley junior épousera à Héléna le 21 février 1890 Laura Louisa Howard fille de Charles et de Virginia Mumford (ils sont notés noirs sur l’acte de mariage). Il deviendra un temps journaliste. En effet, il édita brièvement un journal à Héléna ‘ »the Helena colored citizen « , où il écrivit dans le premier numéro : « On ne peut nier que notre peuple, par la force des choses, occupe un statut particulier dans ce pays. Nous ne sommes pas bien connus. Nos meilleures qualités ne sont pas présentées équitablement au public… Montana a le droit d’être fier de ses 2 500 citoyens de couleur… «
Il choisit ensuite le métier d’avocat et il ouvrira un cabinet avec son fils William T.C « Ball & Ball Attorneys » dans le Burke Building de Seattle. Il résida pendant 32 ans à Seattle et est mort le 11 juillet 1923 à Los Angeles où il y était en convalescence.
Il aura trois enfants avec son épouse :
- William Thomas Caroll né le 15 décembre avocat à Seattle (il sera noté « caucasien » lorsqu’il sera marin pendant quatre mois durant la Première Guerre Mondiale) et époux d’une prénommée Ethel Elisabeth.
- Alice Augusta.
- Adelaïde Grace née en 1896 à Seattle, et selon son acte de décès, diplômée de la Broadway High School. Adélaïde est entrée à l’Université de Washington où elle a passé deux ans au département des sciences, puis au département de droit. Elle était également diplômée du Wilson Business Collège. Elle décéda à Seattle le 12 mars 1918 au 2401 East Union Street (selon son acte de décès d’une « chlorisus pernicous artro » avec comme causes secondaire une dépression nerveuse). Elle est aussi indiquée comme étant blanche sur son acte de décès.
Et selon le Seattle Daily Times : Mardi soir, 12 mars 1918 Page 13, colonne 3 Miss Adelaide Ball meurt à la maison familiale Adelaide Grace Ball, fille de M. et Mme J.B. Ball et sœur de Robert P. Ball et William T.C. Ball est décédé tôt ce matin à la résidence familiale située au 2401 East Union Street. Mlle Ball était malade depuis plusieurs mois, à la suite d’un dépression nerveuse survenue l’été dernier, dépression qu’elle ne pouvait surmonter Elle était née à Seattle il y a vingt-deux ans et y avait résidé de manière continue, à l’exception d’une période d’environ trois ans passée à voyager à l’étranger. Elle était diplômée de la Broadway High School. Elle est entrée à l’Université de Washington où elle a passé deux ans au département des sciences, puis au département de droit. A la période où elle est tombée malade, elle s’était inscrite au cours de droit de deuxième année. Elle était également diplômée du Wilson Business College . Miss Ball avait projeté pour elle-même une carrière dans le monde des affaires, dans le but ultime de consacrer sa vie et ses efforts au bien-être social des hawaïennes, et pour cela elle avait prévu de passer un an à New York.pour se spécilaiser dans ce sens. Pendant des années, elle a été un membre actif de l’église congrégationaliste de Plymouth. Elle a également pris une part active à la Christian Endeavour Society de cette église. Miss Ball était sœur de feu Alice A. Ball, ancienne enseignante de chimie au Collège d’Hawaii à Honolulu, décédée ici il y a plus d’un an. Les funérailles auront lieu jeudi après-midi à 3 heures en a chapelle de Bonney-Watson, après quoi le corps sera incinéré. Nous pouvons imaginer que le décès de sa sœur avait du fortement l’ébranler, d’autant plus qu’il semblerait qu’elle souhaitait la rejoindre à Hawaï. Donc, nous pouvons voir que ces Ball descendants de noirs nés libres avaient pu montrer à tous dans une période troublée de l’Histoire, qu’avec leurs talents, leurs écrits et leurs actions, ils s’étaient battus pour eux-mêmes et pour la cause noire. Mais la ségrégation après la guerre de Sécession était toujours présente, et afin d’offrir un meilleur avenir à leurs enfants et leur permettre de fréquenter l’Université, ils firent l’ amer choix du « passing white« . Alice subit donc une double négation, celle de sa reconnaissance posthume en tant que grande scientifique et celle de pouvoir de son vivant vivre pleinement le fait d’être une Afro-Américaine. Mais pour une fois, l’Histoire fut généreuse et réhabilita sa double identité. Pour aller plus loin :
They followed the trade winds, African American in Hawai’i, Miles M. Jackson Guest Editor Social Process in Hawai’i Volume 43 2004 Department of Sociology University of Hawai’i at Manoa
UH celebrates Alice Augusta Ball Day in Hawaiʻi (le 28 février 2022 le gouverneur Ige signe une proclamation déclarant que le 28 février serait le jour Alice Augusta Ball)
Paul Wermager and Carl Heltzel, Alice A. Augusta Ball Young Chemist Gave Hope to Millions, ChemHistory
Jeannette Brown, American Women Chemists, Oxford University Press, 2012 James Presley Ball An American Journey