Joseph Vion, une icône Vendéenne
L’album de portraits que Louise du Vergier de la Rochejaquelein dessina durant l’été 1826 passé au château de Clisson de Boismé (Deux-Sèvres), est connu sous le nom d’ « album Chauvelin« . (Louise était née en 1804 au château de Citran en Gironde et épousa Achille Modeste Gilles Le Pays de la Riboisière en 1829 à Paris. Elle décéda sans descendance en 1832 à 28 ans, et c’est son neveu Louis de Chauvelin qui hérita des dessins).
Ses modèles sont en grande majorité des personnes qu’elle côtoya durant cet été, même si une certaine « Lise Ruppin de Francfort, marchande de balais » fut croquée à Paris en mai 1826. Ces portraits vont de l’abbé Joubert de Boismé à de nombreux anciens combattants Vendéens, fidèles parmi les fidèles comme Toussaint Texier ou Jacques Louis Maupillier. Certains sont dessinés une arme à la main, d’autres accompagnés d’une phrase décrivant un fait d’arme comme « Alexandre Bibard, de Cerizay blessé à 16 ans » ou encore un trait de caractère : « Joseph Vion de Rorthais, fameux entêté « . Penchons-nous sur ce dernier.
L’historien légitimiste Jacques Crétineau-Jolly, utilisa le portrait de Joseph Vion, comme nombre d’autres, en illustration de son Histoire de la Vendée militaire » en quatre volumes publiés en 1895, l’imposant aussitôt comme une figure de la grande guerre de Vendée (1793-1796).
(consultable en ligne http://guerre.vendee.free.fr/ressources/costume_combattant.pdf – vu en novembre 2020).
Ou encore par J.C. Martin dans « la Vendée de la Mémoire « (Editions Perrin -2019) :
« (…) Cette diffusion transforme les combattants les plus humbles en objets de mémoire. David d’Angers cumule les portraits des anciens soldats de Bonchamps. La marquise de la Riboisière, fille de la marquise de La Rochejaquelein, compose un album avec les soldats du Bressuirais. Les dessins sont accompagnés de légendes qui rappellent les combats ou les caractères de individus : Joseph Vion de Rorthais est un « fameux entêté », Louis Chataignier a échappé par miracle à la mort…. La guerre des paysans reçoit, au titre du souvenir, la reconnaissance des « Messieurs (…) ».
Lors de la réédition en 1992 de cet album Chauvelin [« l’album Vendéen de Louise de La Rocehjaquelein – légende revécue » – Association des descendants des La Rochejaquelein – 1992] chaque dessin était accompagné d’une notice biographique succincte (lorsque les recherches avaient permis de découvrir l’identité de la personne esquissée). Concernant notre « Joseph Vion de Rorthais – fameux entêté ». La fiche indique :
« Ce sympathique personnage ne m’a pas encore été identifié.
Mais feu Monseigneur Vion, évêque de Poitiers aimait parler à ses grands séminaristes d’un de ses ancêtres qu’on appelait l’Entêté : ceci pour dire qu’on ne le ferait pas céder…
Peut-être est-ce l’un des quatre frères Vion, du Pin, rencontrés par Eugène Genoude en 1821 : Tous quatre ont pris les armes, tous quatre sont d’une piété admirable ».
A la recherche de Joseph Vion
Est-il possible de découvrir qui est cet inconnu, considéré comme une des incarnations du combattant du bocage vendéen de 1793 à 1796 ?
Puisque l’album Vendéen date de l’été 1826, dernier été que Louise de la Rochejaquelein, fille de Victoire de Donnissan et de Louis de La Rochejaquelein, passa dans le Bressuirais, il est évident que Joseph Vion était vivant à cette date et qu’il devait résider à ce moment-là à Rorthais.
Dans les registres d’état civil de cette commune existent plusieurs actes (naissances et décès) concernant les enfants d’un couple Joseph Vion et Magdeleine Ayrault (Héraut, Airault…). Notons que les registres, ainsi que le recensement de 1836, ne mentionnent aucun autre « Joseph Vion » sur Rorthais à cette époque, il s’agit donc fort probablement du « fameux entêté » de Louise de La Rochejaquelein.
Ce Joseph Vion est agriculteur et père d’une nombreuse famille, et un frère Jean-Baptiste semble vivre avec lui.
Icone de la Vendée militaire ?
Nous l’avons vu, le portrait de Joseph Vion fut considéré comme une sorte d’archétype du combattant Vendéen. Pourtant, le doute est permis quant au fait qu’il ait pris les armes lors des guerres de 1793 et 1795…
En effet, selon l’âge noté sur le recensement il serait né vers 1784. Il semble donc trop jeune pour combattre lors des deux premières guerres de Vendée (1793-1795 et 1795-1796).
Pourtant, en 1820 Genoude écrivit effectivement lors de son voyage dans la région :
« En allant à Saint-Aubin, nous ne passâmes pas loin de Cérisay , du bois du Moulin-aux-Chêvres, de Châtillon, lieux illustrés par des traits du plus noble courage . Au Pin, village qui est sur la route de Saint-Aubin, sont les frères Vion. Tous quatre ont pris les armes, tous quatre sont d’une piété admirable. Le cœur est toujours le même, me disoit l’un deux » [ « Voyage dans la Vendée et dans le midi de la France, suivi d’un voyage pittoresque dans quelques cantons de la Suisse » – Antoine Eugène Genoude – janv. 1821 Périsse (Gallica)].
Or, lors du décès d’une fille de Joseph en août 1827 à Rorthais à l’âge de 10 ans, cette dernière est notée native du… Pin ! Joseph serait-il un des quatre combattants évoqués par Genoude ? Si nous connaissons un frère de Joseph (Jean-Baptiste décédé en 1840), reste à découvrir si cette fratrie se composait de quatre personnes au total…
C’est effectivement dans la commune du Pin que fut célébré le mariage de Joseph Vion et Magdeleine Ayrault le 20 février 1810. L’acte d’union précise bien que l’époux est fils de Gabriel Vion et de Louise Landreau et serait né à Combrand vers 1780… Les témoins sont Jean Vion, agriculteur de 36 ans (donc né vers 1774), frère de Joseph, et Charles Eustache Cousseau de l’Epinay propriétaire présent et consentant.
Notons que cette union eut lieu le même jour que celle de Jeanne Louise Vion, sœur de Joseph, avec Joseph Goicheau. Elle serait également née à Combrand.
Joseph, Jean, Pierre et Baptiste… Quatre frères !
A la recherche des quatre frères
Que savons-nous des quatre frères Vion du Pin ?
-
Jean, né vers 1774.
-
Joseph, le fameux « entêté » de Louise de La Rochejaquelein : né vers 1784 (à Combrand ?), époux de Magdeleine Ayrault.
-
(Jean) Baptiste, né vers 1788 (à Combrand ?) et décédé à Rorthais en 1840.
-
Pierre, vivant en 1813.
Les registres du Pin nous apportent, là encore quelques précisions, à commencer par le décès de Louise Landreau, veuve de Gabriel Vion, mère donc de nos quatre frères, survenu le 20 juin 1813 à La Boissetière du Pin.
Et au sein des registres nous identifions également :
-
Pierre Gabriel Vion, décédé à La Boissetière du Pin le 13 août 1821 à l’âge de 35 ans (né donc vers 1786). Ses frères Jean et Joseph, tous domiciliés au même lieu-dit, sont témoins.
-
Jean Vion, métayer à la Boissetière, épouse Perinne Landreau le 30 avril 1806. Cette dernière décède au Pin le 16 mars 1808 après avoir donné naissance le même jour à une fille prénommée Perrine. Soulignons que parmi les témoins de cette naissance est noté «Gabriel Vion âgé de cinquante cinq ans, maiteyer, Grand père » de la « Grande Ménantière commune de Combrand« .
L’acte de mariage de Jean Vion nous indique des informations importantes sur cette famille :
Jean est indiqué fils de Gabriel Vion, de Combrand, et de … feue Marie Garnier. Et serait natif de Saint-Pierre-des-Echaubrognes (Deux-Sèvres). Joseph Vion est témoin, habitant alors Combrand, et mentionné… demi-frère !
Notons que les registres des successions du bureau de Bressuire nous permettent de retrouver le décès de Jean, à Cerizay (Deux-Sèvres) le 16 décembre 1822. Il était alors époux en secondes noces de Marie Henriette Papin qu’il avait épousé à Cerizay en 1812.
Ainsi la famille des fameux frères Vion du Pin prend forme, mais malheureusement, les nombreuses lacunes dans les registres de Combrand ne nous permettent pas de retrouver l’acte de baptême de « l’Entêté » ; mais les registres du Pin nous réservent une autre surprise : L’acte de décès de Joseph Vion lui-même le 3 juillet 1858. La déclaration est faite par ses fils Joseph et Pierre, et le document précise que Joseph est né non pas à Combrand mais aux Cerqueux (Maine-et-Loire) (remarquons également que son père est rebaptisé Joseph et sa mère Marie).
« L’entêté » de Louise de La Rochejaquelein est donc né aux Cerqueux ; précisément le 16 avril 1784. La famille habite alors au lieu-dit Daillon. Notons le parrain : Joseph Garnier.
Quand à ses deux frères cadets, Baptiste et Pierre et leur sœur Louise, leurs actes ne se trouvent pas non plus dans les registres des Cerqueux. Il est donc crédible qu’ils soient bien nés à Combrand bien que, pour eux également, les lacunes ne nous aient pas permis de retrouver trace de leurs naissances. Mentionnons tout de même qu’en 1789, parmi les personnes déléguées pour porter les cahiers de doléances de la commune de Combrand à la réunion préliminaire de la sénéchaussée et comté du Poitou à Poitiers, se trouvait… un Gabriel Vion. S’il s’agit du père des quatre frères, ce qui est fort probable, cela confirme leur présence à Combrand à cette époque.
Relevons également que sur le site d’entraide généalogique « Noms de Vendée« , d’après Noëlle Pouplin (ex-mairesse du Pin et érudite locale), les Vion n’apparaissent pas dans les registres de catholicité de cette commune au début du XIXe siècle, ce qui laisserait penser qu’ils appartenaient à la Petite Eglise (pour mieux comprendre cette particularité religieuse locale, lire « La Petite Eglise dans l’Ouest, réaction Vendéenne au Concordat ? »)… Cela pourrait peut-être expliquer ce terme « d’entêté ». En 1826, date des dessins, la grande majorité des habitants de Boismé et leur prêtre, commune où se trouve le château de Clisson lieu de résidence de Louise du Vergier de La Rochejaquelein, avaient quitté la dissidence au Concordat suivant l’ex-évêque de La Rochelle Mgr de Coucy. Donc pour une partie de la population locale, les membres de la Petite Eglise paraissaient comme des obstinés difficiles à convaincre.
Quant au frère aîné Jean, né du premier mariage de Gabriel vers 1774 à Saint-Pierre-des-Echaubrognes, là encore nous nous heurtons à d’innombrables lacunes dans les registres. Nous y retrouvons pourtant le mariage de Gabriel Vion avec Louise Landreau le 6 juillet 1783. L’époux est bien noté veuf de Marie Garnier, et était des Cerqueux.
Ainsi cette famille Vion vint s’installer à la veille de la Révolution à Combrand, puis au début du XIXe siècle au Pin et à Rorthais. Nous ignorons si Gabriel prit les armes, rappelons tout de même qu’à Combrand il habitait La Ménantière (aujourd’hui Les Ménantières) propriété de la famille Cousseau de l’Epinay. Or, Charles Eustache Cousseau de L’Epinay (témoin du mariage de Joseph Vion) était le fils de Alexis Cousseau de L’Epinay, trésorier de l’armée Vendéenne, capturé avec son épouse à la Ménantière et aurait été exécuté le 29 janvier 1794 (son épouse est décédé (exécutée ?) à Bressuire le 10 mars 1794 [Actes de succession de Alexis Cousseau de L’Epinay et de Radegonde Baudry son épouse, en date du 28 août 1798 – Bureau de l’enregistrement de Bressuire]… Ce qui peut effectivement laisser envisager que Gabriel avait bien pris les armes, et peut-être son fils aîné Jean qui en 1793 avait 19 ans, mais certainement pas ses cadets, dont le « célèbre Joseph » bien trop jeune. De même il semble peu probable que les plus jeunes frères prirent les armes en 1799 pour les mêmes raisons. Le souvenir des quatre frères combattants est donc plus probablement attaché à la révolte de 1815, révolte, rappelons-le, où fut tué le général Louis de la Rochejaquelein commandant l’Armée royale et père de Louise. Mais nous n’avons pas trouvé de dossiers de demande de pensions comme le firent tant de combattants entre 1815 et 1828, ni au Pin, ni à Rorthais, ni à Combrand, ni à Cerizay. Dans ces dossiers de pensions d’anciens combattants de 1793-1815 des Deux-Sèvres, seuls deux Vion apparaissent : François Vion, tailleur d’habits de Saint-Aubin-de-Baubigné, ancien capitaine dans les armées royales, blessé « auprès de Vezin » en 1794 ; et Louis Vion, bordier à la Michotière de Saint-Amand-sur-Sèvre , blessé en 1793 à l’Absie.( AD 79 R69-13)
Soulignons que la succession d’Alexis Cousseau de l’Epinay (28 août 1798 – Bureau de l’enregistrement de Bressuire) nous révèle que ce dernier possédait des biens immobiliers à Combrand, Rorthais, et Saint-Pierre-des-Echaubrognes, ce qui expliquerait peut-être la venue de la famille de Gabriel Vion de Saint-Pierre-des Echaubrognes vers Combrand, puis Rorthais.
Voici retrouvés ces frères du Pin qui impressionnèrent Antoine Eugène Genoude lors de son voyage en 1820 et dont le caractère d’un d’entre eux poussa Louise de La Rochejaquelein à l’immortaliser faisant de lui, malgré son trop jeune âge, un symbole d’une « grande guerre de 1793 » à laquelle il n’avait pas participé. Implicitement, en voyant ce portrait, les gens furent portés à penser qu’il avait combattu en 1793 avec Jean Chardonneau, Pierre Billy de la Chataigneraie de Terves etc. qui furent également dessinés par la fille de la célèbre mémorialiste des guerres de Vendée.
Enfin, quant à l’éventualité d’une parenté avec l’évêque Vion… La famille de ce dernier était originaire de Montravers (Deux-Sèvres), commune voisine de Combrand. Mais nous l’avons vu, la famille des frères Vion venait quant à elle du Maine-et-Loire, il n’y a donc pas de parenté avérée entre les deux.